vendredi 10 juillet 2015

J'finirai bouffée par les tortues


Quand on est une petite fille rêveuse, on glisse lentement dans la contemplation. On s’alanguit bras spaghettis devant les sanglots de la fenêtre. Tout à coup rien n'est plus comme avant. Tout à coup on n'a plus sept ans et maman a montré que la vie c'est pas comme celles des princesses.

Le vide du dedans du bidou se comble de brioches, de chocapics et de coquillettes pour colmater l'Amour évaporé. Effet Konjac. Bourrer la gamine de matière pour ne pas se rendre compte de ce qui est parti et qui ne reviendra plus. Si un monsieur peut rendre une dame caoutchouc et si son appendice cruciforme peut la gruyériser alors c'est sûr je ne suis pas une princesse. La contemplation aide à analyser les situations qui m'échappent. Et bientôt le corps disparaît. Il n'est plus qu'un rond bien régulier au nombril vicieux en son centre. Une cible à fléchettes et les joueurs sont nombreux. Un œil grand ouvert sur les piques qui foncent droit dessus.

L'esprit grandit, s'élargit, étend ses tentacules autour de ma tête Méduse. Méduse est redoutable sous les traits de la chérubine. Le corps étend, lui, ses couches protectrices pour isoler le trésor, le précieux, le fragile, le tout petit cerveau d'or caché sous les boudins d'piscine d'la boîte crânienne. Un jour quand j'serai grande mon amoureux va me sauver. Il va me libérer de mourir étouffée par ces souffles gonflés, par ces grains de riz qu'on écoute dans le lait, boursouflés. Je prie maintenant dans l'eau, les mains parfaitement jointes, pour qu'il vienne vite, vite, vite. Demain je vais lui écrire, je vais lui dire qu'j'ai pas l'temps d'attendre d'être une adulte.

Comment je l'imagine mon amoureux ? Je ne l'imagine pas, je le sais. Il est dans moi déjà parce qu'au fond, ce qu'on aime chez l'autre c'est de se voir joli dedans. C'est celui qui arrive un jour et qui fait se rabougrir la peur. J'me fous pas mal de quelle tête il a, de ce qu'il fait dans la vie. Il est là et le renard qui grignote l'estomac est mort définitivement. Un jour, j'ai marché dans le soleil du matin avec mon père dans la plaine angoissante. Les vastes étendues de nature, plates ou boisées sont toujours angoissantes. On marchait ma petite main dans la grande sienne et le renard apparut sur le chemin poussière. Fauve dans le rayon déjà éblouissant et ça avait encore foutu du rouge plein la rétine.

  • Dis, il dort le renard ?
  • Ah non, il est mort, chérie.
  • Il est mort ?
  • Oui, regarde les mouches.

Je me souviens m'être approchée et avoir observé longuement le corps fourrure en arc de cercle, la tête sous les pattes comme un bon gros dodo d'hiver. En le fixant je pouvais presque voir ses flancs bouger mais je savais désormais qu'il me fallait me méfier de mon imagination. C'est ce que mamie avait dit quand j'avais raconté que Marco avait dit à la tata qu'elle était trop belle la tête en mie de pain après avoir caressé sa gâchette. Bref. Les mouches se gorgeaient de la puanteur. Moi aussi.

  • Papa, pourquoi tu sors ton couteau ?
  • C'est une aubaine cette bestiole. Regarde bien.

D'un geste de professionnel, il sectionna la queue touffue de l'animal. Sur le coup, je vis le générique de mon dessin animé défiler : Les animaux du bois de Quat'Sous. Je pouvais voir le renard sortir sa tête de la grotte du blaireau pour papoter. Mon héros animé ne ressemblait plus à grand chose sans queue. Il l'agita devant mes yeux.

  • C'est cinq euros, elle n'est pas abîmée, on ne va pas se priver !
  • Tu vas la vendre ?
  • Oui. J'ai l'agrément de piégeur, c'est mon rôle.
  • Tu fais ça pour tous les animaux morts ?
  • Pour les nuisibles oui. Tiens, tu peux la porter.

Nous étions repartis, moi tenant la queue. On pouvait donc couper la queue des nuisibles...hum...

Et puis l'enfance se passe comme ça, à collectionner des images. Dans le cerveau compartimenté, y a un tiroir à cahiers. Chaque jour et patiemment, je m'applique à les coller dans ma vie-Panini. Le fusil de Marco, le fusil de Papa font des doubles que j'peux pas échanger à la récré. Mes copines n'en ont pas des comme ça. Alors l'enfance se passe et cette débile de gamine persiste et signe à rêver quand on lui déroule devant les yeux que la jolie pastorale idéalisée ne sera pas plus digne qu'un Louis la Brocante à la télé.
Sortir, partir, voir le monde. Il faudrait. Mais l'immobilisme des petites campagnes est réel. L'orteil peine à s'agiter en dehors des panneaux barrés de la commune. De sa fenêtre donc, elle regarde les gens vivre un soap AB production et elle affectionne même les détails sordides d'un mauvais Maupassant comme les vieux en bas de l'immeuble-maison de ville qui parlent fort le dimanche matin de la dernière battue au cochon, ou encore des dames qui débattent de la vente des médicaments bientôt chez Intermarché.

Elle se sent un petit peu triste quand même, de se contenter de ça. Moi maintenant, j'ai plus rien à vivre, et je la regarde avec un peu de tendresse, un peu de pitié. Son cerveau s'agite à arrimer sa foi mais l'ancre est si lourde pour ses mains fragiles. L'enfance passe et encore elle y croit, elle croit qu'un jour IL sera là pour la regarder vivre et même que TOUS seront là pour la regarder vivre. Elle ne se dit pas encore que si elle crève là, maintenant, pathétique et d'un coup, sur le tapis-poil de chat, personne ne le saura. Elle ne se rend pas encore compte que si elle monologue intérieur depuis des siècles, elle n'a pas prononcé un seul mot à voix haute de la veille à demain.

L'enfance passe et que fera t-elle si les mots qu'elle aligne ne sont pas plus consistants qu'un résumé de programmes télé? Si les gens ne l'aiment pas, si l'amoureux ne l'aime pas, si elle ne s'aime pas ? Elle me saoulait avec sa mièvrerie imbécile d'espoir et de vie et d'amour. Elle n'avait rien compris. Brade-toi, le ciel t'aidera !
Et quand bien même ce serait définitivement foutu, j'm'en tape, j'finirai bouffée par les tortues.

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