lundi 24 août 2015

Elle est sous la bagnole, Simone.

Photo: Simone de Beauvoir

La passivité face à la rébellion ne peut être reprochée qu'à ceux qui souffrent. L'enlisement immobilise. Se révolter, c'est pas une histoire de bourgeois intello parce que les oppressés s'en foutent mais parce que ces derniers crèvent sous les yeux des premiers. Et ça...ben ça fait pas très joli.

Moi j'irai crier au scandale et je monterai au créneau pour toutes les bonne-femmes quand j'aurai la force de me lever après les roustes de mon Paulo. Les genoux pétés, c'est pas évident. 

samedi 22 août 2015

C'était ça être grand

Photo: Lou Sully

Il était là avec ses petits soldats en plastoc et s'il ne jouait pas un monde imaginaire c'était que reproduire la guerre représentait le seul schéma qu'il connaissait afin de n'avoir pas à choisir lequel de ses jouets tenir. Choisir. Etranger que ce mot dans son cerveau, Gab. 

Même alors que ses troufions se mettaient dessus, il préférait toujours l'option explosion pour faire éclater les deux camps, ou son dinosaure aux yeux rouges qui marchait tout seul pour les manger tous, tout, tout plutôt que de se prononcer sur les gagnants du combat. Pas par souci de neutralité, non. Parce que perdre l'angoissait. Et on perdait inéluctablement quand on choisissait. C'était ça être grand. 

Alors dans tout cela, ce n'était pas moi, la petite. Il avait décidé de me tuer uniquement pour me garder. Pour pouvoir fouler encore toutes les plates-bandes semées de ses chemins sans jamais dire au revoir à la moindre d'entre elles. Gaby mettait ses mains en coupole et aimait ramasser tous ses jouets à la fois. C'était lui, l'enfant. Certainement pas moi.



jeudi 20 août 2015

La gale aux dents

Photo: Lou Sully

Ta langue qui pique et tes yeux voilés.
Le vin, le vin de tes baisers.
Et même aussi les crispations frénétiques de tes mains d'idole
Tracent la poudre cadavérique dans mes reins d'échandole.
Il y eut le sommeil sans cauchemars alors
Sans le moindre de ton amour d'aurore
Je hais la nuit qui ment.

Ta moue qui nique mes papillons vitreux.
Le pus, le pus de ton humus verreux
Qui étouffe mes exhortations orgasmiques de tes saintes paroles
Vorace ta foudre homérique à me rendre folle
A pleine bouche tu arraches mes soupirs biaisés
Quand viendra ton souffle sur ma peau apaisée
J'aurai déjà la gale aux dents.



vendredi 14 août 2015

Empaler les biches

Photo: Martin Waldbauer

- Roger, la vie ça prépare pas les types comme moi à empaler des biches.
Imagination. Repli de défense. Urgent besoin de déni. Cela pouvait être, et c'était souvent ce que son imagination choisissait, une salle d'attente d'ophtalmo. L'escalier à la barre invisible, le plancher qui craquait, les magazines de Femmes Actuelles négligemment dérangés sur la petite table au centre des chaises en perdition...c'était une ambiance qui lui allait. Dans un coin, une caisse de cubes en bois et un chien jaune à roulettes constituaient l'espace d'attente des enfants. Bien droit sur sa chaise, il observait les jambes en collants des dames se croiser et se décroiser ou les mains nerveuses des messieurs tourner les pages des hors-séries "spécial ventre plat".
S'ensuivait alors un processus de mise en condition qui lui soulevait la pilosité d'aise. Il s'imaginait rentrer chez lui, à la campagne, cuisiner une blanquette. Prendre une douche bien chaude puis traîner en pantoufles, la lumière allumée à 18h, le bruit de fond du Lepers dans le salon, la perspective enfin...d'un présent repu et d'un lendemain sans surprise.
- Tu veux dire que c'est devenu ta passion? La chasse...
- Je veux dire que je connaissais ta fille, Roger.

mardi 11 août 2015

Les Soupop' ont pas le temps pour ces conneries


Roger faisait le bruit des grands-pères lapant la soupe en buvant sa mousse. C'était agaçant. Gaby se demandait comment ce type aux airs de basset avait pu donner naissance à son trésor. La Véro, il l'avait vue avachie sur le canapé lorsqu'il était monté déposer la petite dans son lit et elle n'envoyait pas franchement du rêve.

  • T'es communiste toi?
  • Pardon?
  • David m'a dit ça. Il paraît que tu étais cadre avant...même vachement bien placé...donc c'est vrai qu'on peut se demander...Coco ou viré, alors?

Pour la première fois, Gaby vit Roger sourire et il résista à la furieuse envie de lui choper sa houppette pour composer du jus de narine contre le rebord de la table. Il ne voyait pas de rapport logique dans son raisonnement et le vieux parlait trop. Migraine. Grands traits en travers du front. Tailler la bavette avec cet homme commençait à lui poser un cas de conscience désagréable. Sa compagnie lui donnait la gerbe mais les maillons de la culpabilité compressaient sa gorge chaque fois qu'il discernait dans son regard le vide qu'il y avait placé.

  • Pas spécialement communiste, non...Une reconversion plutôt...murmura t-il, gêné, en faisant tourner son alliance du bout des doigts.
  • Ah. Oui, c'est bien ça, avoir le courage de recommencer. Moi j'y crois pas vraiment à cette histoire de communisme, qu'on gagne tous pareil, qu'on partage, tout ça...
  • C'est une belle valeur, non?
  • C'est de l'hypocrisie bonhomme, répondit-il, sérieux tout à coup, s'adressant à lui dans un étrange élan paternaliste. Ils me font rire ceux qui disent qu'il faut partager, qu'il faut aider son prochain, qu'on devrait tous êtres égaux, c'est facile à dire quand tu manques de rien. Ou déjà quand t'as le temps d'y penser. Moi mon père, il disait que communiste c'est une idée de riches, quand tu sais pas si tu vas bouffer le lendemain et si tes gosses auront du lait, t'en as rien à foutre de partager, faut déjà trouver. Je suis pas contre l'idée, moi tu vois...Mais faut être réaliste.
  • Le communisme, c'est quand même un mouvement ouvrier...
  • Ah ça aussi ça m'fait marrer, populaire, le peuple, les ouvriers tout ça...Le peuple, c'est quoi? Des ouvriers syndiqués. Tu sais combien ça coûte d'être syndiqué? Mais y en a du monde sous le peuple, ceux qu'ont pas de quoi acheter le pouvoir de se faire représenter, on appelle ça les Soupop' ici, et ils ont pas le temps pour toutes ses conneries de grandes idées, ils cherchent juste de quoi bouffer. C'est pas démago, ça existe, mais c'est caché par les grandes naches des populos. Bref tout ça pour dire...

Roger avala une grande rasade de bière et Gaby observait, fasciné, sa pomme d'Adam rouler dans le gras de sa gorge.

  • C'est beau de vouloir tout recommencer...J'me suis dit ça aussi avant de retrouver ma gosse...Maintenant qu'elle est morte, ça n'a plus vraiment de sens. Trouver la force de continuer ce sera déjà pas mal...

Il regarda Gaby en hochant le menton, un léger sourire timide au coin de la lèvre. Pas un sourire, plus un assentiment, une reconnaissance.

  • C'est vachement sympa pour la bière...


Gaby acquiesça, mâchoires serrées. Le souvenir de la délicieuse innocence de la petite lui fila l'envie de chialer comme un gamin.

jeudi 6 août 2015

Un trésor, un carton.



Vider sa maison d'enfance c'est la claque brutale qui te montre tout ce qui disparaît. Ce qui ne sera plus. Finalement cela te montre aussi ce qui n'a jamais été. Tu ressors tes affaires d'enfant mais tes yeux n'ont plus la saveur pour savoir les voir comme il le faudrait.
Doudou est minuscule. Il pue. Loin, loin de la chose que vous aimiez le plus au monde au parfum unique, orgasmique, des dodos sans cauchemars. Il n'existe plus et vous non plus. Plus comme ça.
Etre adulte et avancer, en définitive, c'est quotidiennement, inlassablement, vider sa maison d'enfance. Et le mec est minuscule. Et il pue. Loin, loin de la personne que vous aimiez le plus au monde, au parfum magique, orgasmique, des dodos lupanars.
Regarder ses trésors dans un carton c'est se dire qu'inéluctablement la vie n'est que ça. Un trésor. Un carton. Un trésor. Un carton.
Au carton mon trésor, alors.
C'était un peu ce que Gaby se disait, là, devant le carton posé sur la table basse de sa chambre d'hôtel. Lorsqu'il l'avait ramené de chez Roger, il avait d'abord rougi violemment en reconnaissant l'écriture ronde et délicate. Puis la peur dans le bide s'était insinuée, face de rongeur pris en faute, langue de serpent frétillant de l'apex entre les lèvres, il avait regardé successivement à gauche à droite se sachant pourtant seul. Et il demeurait comme un con, épluchant les peaux de ses mains délicates d'intello sans oser l'ouvrir.
Il n'était plus rentré à la maison depuis qu'il avait rendu la petite. Les appels de sa femme se succédaient. Demain, il avait rendez-vous à l'usine de chemises cartonnées.



De la pâte d'amour




Envers et contre toutes les crasses 
Ce ne sera jamais du vent que tu brasses
J'ai rongé tous les barreaux
J'ai la rouille aux commissures
Mais tu sais comme les petits moineaux
Sont fidèles aux bourreaux de leurs fissures.


dimanche 2 août 2015

Follow the yellow brick road



J'ai vu - cru voir - une ligne alléchante à suivre en ce qu'elle paraissait à l'ombre des tiges,des strates, qui sans relâche cinglent les joues vierges. Ce n'est pas blâmable que de tenter, que de regarder content alors, la verticalité sous ses semelles. On peut y croire un temps. On peut se persuader d'être quelqu'un lorsqu'on tient bien le chemin et qu'on ripe à peine le vide.

Dès lors, je le concède, je me suis grisé des beignets gras de la flatterie, des cancans de cour et des dessous peu farouches qui bordèrent naturellement les berges de mon numéro de funambule. J'ai dégurgité des litanies entières jusqu'à la nausée afin de repaître les ventres avides des yeux rivés. Me suis-je cru intéressant? Assurément.

La moue vile d'un Frédéric Moreau, le regard allumé d'un Julien Sorel, j'ai, en léchant la ligne au sol, palpité d'en être.

Mon cri a inondé les fossés longtemps, espérant recouvrir les sons stridents des voix anciennes et j'ai à peine déposé le voile de la modestie sur mon génie.

Je sais que ceux naguère qui distillaient mes palabres futiles sous leurs langues avant la nuit, seront les premiers à hurler à l'imposture.

Et oui. Je ne suis qu'un arriviste qui a usé de sa plus belle arme afin d'avoir un jour un trésor dans une boîte.

Vous êtes mon ami Roger, je vous estime. Mais j'ai tué votre fille parce que je l'aimais. Personne ne vous la rendra.