samedi 19 septembre 2015

Les filles paumées ont les jambes arquées



Les filles paumées ont souvent les jambes arquées.

Quand le quotidien crasseux ne m'atteignait pas encore, que j'avais l'minou du ventre gonflé d'amour pour Lui et qu'il m'aimait fort, je rigolais et je prenais des airs de petite péronnelle devant ces filles-là.
Elles avaient toujours la même silhouette, des quilles maigres moulées dans un jean qui se perdait dans des gros godillots. Leurs bombers rouge Scholl, semblable à la carapace molle d'une grosse tortue abattue, suffisait à peine à leur donner du volume et elles avançaient ainsi, l'échine écarlate, courbées sur les poignées de la poussette où beuglait une grossesse non désirée.
Sous la pluie, bravant le vent et les hurlements de bébé Moise, mon unique mission de la journée consistait à me rendre au Coccimarket pour aller chercher les gâteaux de Jourrier. Pour sa pause. Et dans le reflet de la vitre du magasin, j'avais vu la maigre tortue.
Peut-être bien qu'on fait pas exprès de devenir le cliché dont on se moquait autrefois.
Pour ma part, c'était devenu un choix. Une nécessité.
De l'orgueil sans doute.
Je crois que j'avais moins de remord à faire crever la beauf arquée que j'étais devenue qu'à supporter les cris d'agonies de la princesse que je fus.

En ce dimanche matin, Jourrier se la pétait avec des lunettes carrées. Après m'avoir sorti des chapelets de conneries sur l'inutilité et le non rendement de l'écriture, analysé ma vie passée, celle d'avant lui, à se marrer de mes idéaux de p'tite bobo discount, il avait chopé l'un de mes bouquins dans les quelques reliques que j'avais conservées.

"Mais pour conclure, je dis et je maintiens qu'il n'y a pas de meilleur torche-cul qu'un oison bien duveteux, pourvu qu'on lui tienne la tête entre les jambes.
Croyez-m'en sur l'honneur, vous ressentez au trou du cul une volupté mirifique, tant à cause de la douceur de ce duvet qu'à cause de la bonne chaleur de l'oison qui se communique facilement du boyau du cul et des autres intestins jusqu'à se transmettre à la région du cœur et à celle du cerveau.
Ne croyez pas que la béatitude des héros et des demi-dieux qui sont aux Champs Elysées tienne à leur asphodèle, à leur ambroisie ou à leur nectar comme disent les vieilles de par ici.
Elle tient, selon mon opinion, à ce qu'ils se torchent le cul avec un oison "

Il releva sa vieille tête vers moi, jobard.
  • J'ai pas compris la fin mais c'est marrant! On dirait toi, l'oisillon tout doux.
  • ...Ah oui...

Je ne sais pas si ce fut le bruit sec de la mandale que Jourrier administra sur ma fesse ou l'écho de sa phrase sur l'oisillon qui me firent péter les plombs mais je partis à trembler de tous mes membres.
La colère m'étouffait tellement que je sentais la bave aux babines. Le torche-cul 2.0 c'était moi. 

J'en avais torché des ego de mâle alpha afin que rien ne vienne écailler les vernis des demi-dieux. J'en avais soupé des beignes aux ventricules, des égorgements à sec dans le mielleux des je t'aime, des routes de l'abandon sitôt la fin des vacances. Mais j'en avais plus rien à foutre, j'avais détruit la fille d'avant, j'avais moi-même déplumé l'oisillon et bourré ma bouche avec pour me faire fermer mes mièvreries. J'avais enflé, enflé, j'étais devenue Gargantua et mes amants maudits, mes amours terribles, mes Jésus charismatiques et mes uppercuts systématiques pour les plus cons des maîtres à jouir, ben je les avais bouffés.

Jourrier ne remonterait jamais les Champs Elysées, il ne réveillerait ni l'oisillon ni ne voudrait en connaître sur sa croupe la sensation. Je ne serai plus heureuse. Je ne serai plus jamais heureuse. Et dans un élan désespéré de reconnaissance et de désespoir, j'attrapai la mèche footballistique de sa nuque et me jetai avidement sur sa bouche, lapant au goulot la saveur douce et insipide de ma rédemption.


Plus jamais l'oisillon.

lundi 24 août 2015

Elle est sous la bagnole, Simone.

Photo: Simone de Beauvoir

La passivité face à la rébellion ne peut être reprochée qu'à ceux qui souffrent. L'enlisement immobilise. Se révolter, c'est pas une histoire de bourgeois intello parce que les oppressés s'en foutent mais parce que ces derniers crèvent sous les yeux des premiers. Et ça...ben ça fait pas très joli.

Moi j'irai crier au scandale et je monterai au créneau pour toutes les bonne-femmes quand j'aurai la force de me lever après les roustes de mon Paulo. Les genoux pétés, c'est pas évident. 

samedi 22 août 2015

C'était ça être grand

Photo: Lou Sully

Il était là avec ses petits soldats en plastoc et s'il ne jouait pas un monde imaginaire c'était que reproduire la guerre représentait le seul schéma qu'il connaissait afin de n'avoir pas à choisir lequel de ses jouets tenir. Choisir. Etranger que ce mot dans son cerveau, Gab. 

Même alors que ses troufions se mettaient dessus, il préférait toujours l'option explosion pour faire éclater les deux camps, ou son dinosaure aux yeux rouges qui marchait tout seul pour les manger tous, tout, tout plutôt que de se prononcer sur les gagnants du combat. Pas par souci de neutralité, non. Parce que perdre l'angoissait. Et on perdait inéluctablement quand on choisissait. C'était ça être grand. 

Alors dans tout cela, ce n'était pas moi, la petite. Il avait décidé de me tuer uniquement pour me garder. Pour pouvoir fouler encore toutes les plates-bandes semées de ses chemins sans jamais dire au revoir à la moindre d'entre elles. Gaby mettait ses mains en coupole et aimait ramasser tous ses jouets à la fois. C'était lui, l'enfant. Certainement pas moi.



jeudi 20 août 2015

La gale aux dents

Photo: Lou Sully

Ta langue qui pique et tes yeux voilés.
Le vin, le vin de tes baisers.
Et même aussi les crispations frénétiques de tes mains d'idole
Tracent la poudre cadavérique dans mes reins d'échandole.
Il y eut le sommeil sans cauchemars alors
Sans le moindre de ton amour d'aurore
Je hais la nuit qui ment.

Ta moue qui nique mes papillons vitreux.
Le pus, le pus de ton humus verreux
Qui étouffe mes exhortations orgasmiques de tes saintes paroles
Vorace ta foudre homérique à me rendre folle
A pleine bouche tu arraches mes soupirs biaisés
Quand viendra ton souffle sur ma peau apaisée
J'aurai déjà la gale aux dents.



vendredi 14 août 2015

Empaler les biches

Photo: Martin Waldbauer

- Roger, la vie ça prépare pas les types comme moi à empaler des biches.
Imagination. Repli de défense. Urgent besoin de déni. Cela pouvait être, et c'était souvent ce que son imagination choisissait, une salle d'attente d'ophtalmo. L'escalier à la barre invisible, le plancher qui craquait, les magazines de Femmes Actuelles négligemment dérangés sur la petite table au centre des chaises en perdition...c'était une ambiance qui lui allait. Dans un coin, une caisse de cubes en bois et un chien jaune à roulettes constituaient l'espace d'attente des enfants. Bien droit sur sa chaise, il observait les jambes en collants des dames se croiser et se décroiser ou les mains nerveuses des messieurs tourner les pages des hors-séries "spécial ventre plat".
S'ensuivait alors un processus de mise en condition qui lui soulevait la pilosité d'aise. Il s'imaginait rentrer chez lui, à la campagne, cuisiner une blanquette. Prendre une douche bien chaude puis traîner en pantoufles, la lumière allumée à 18h, le bruit de fond du Lepers dans le salon, la perspective enfin...d'un présent repu et d'un lendemain sans surprise.
- Tu veux dire que c'est devenu ta passion? La chasse...
- Je veux dire que je connaissais ta fille, Roger.

mardi 11 août 2015

Les Soupop' ont pas le temps pour ces conneries


Roger faisait le bruit des grands-pères lapant la soupe en buvant sa mousse. C'était agaçant. Gaby se demandait comment ce type aux airs de basset avait pu donner naissance à son trésor. La Véro, il l'avait vue avachie sur le canapé lorsqu'il était monté déposer la petite dans son lit et elle n'envoyait pas franchement du rêve.

  • T'es communiste toi?
  • Pardon?
  • David m'a dit ça. Il paraît que tu étais cadre avant...même vachement bien placé...donc c'est vrai qu'on peut se demander...Coco ou viré, alors?

Pour la première fois, Gaby vit Roger sourire et il résista à la furieuse envie de lui choper sa houppette pour composer du jus de narine contre le rebord de la table. Il ne voyait pas de rapport logique dans son raisonnement et le vieux parlait trop. Migraine. Grands traits en travers du front. Tailler la bavette avec cet homme commençait à lui poser un cas de conscience désagréable. Sa compagnie lui donnait la gerbe mais les maillons de la culpabilité compressaient sa gorge chaque fois qu'il discernait dans son regard le vide qu'il y avait placé.

  • Pas spécialement communiste, non...Une reconversion plutôt...murmura t-il, gêné, en faisant tourner son alliance du bout des doigts.
  • Ah. Oui, c'est bien ça, avoir le courage de recommencer. Moi j'y crois pas vraiment à cette histoire de communisme, qu'on gagne tous pareil, qu'on partage, tout ça...
  • C'est une belle valeur, non?
  • C'est de l'hypocrisie bonhomme, répondit-il, sérieux tout à coup, s'adressant à lui dans un étrange élan paternaliste. Ils me font rire ceux qui disent qu'il faut partager, qu'il faut aider son prochain, qu'on devrait tous êtres égaux, c'est facile à dire quand tu manques de rien. Ou déjà quand t'as le temps d'y penser. Moi mon père, il disait que communiste c'est une idée de riches, quand tu sais pas si tu vas bouffer le lendemain et si tes gosses auront du lait, t'en as rien à foutre de partager, faut déjà trouver. Je suis pas contre l'idée, moi tu vois...Mais faut être réaliste.
  • Le communisme, c'est quand même un mouvement ouvrier...
  • Ah ça aussi ça m'fait marrer, populaire, le peuple, les ouvriers tout ça...Le peuple, c'est quoi? Des ouvriers syndiqués. Tu sais combien ça coûte d'être syndiqué? Mais y en a du monde sous le peuple, ceux qu'ont pas de quoi acheter le pouvoir de se faire représenter, on appelle ça les Soupop' ici, et ils ont pas le temps pour toutes ses conneries de grandes idées, ils cherchent juste de quoi bouffer. C'est pas démago, ça existe, mais c'est caché par les grandes naches des populos. Bref tout ça pour dire...

Roger avala une grande rasade de bière et Gaby observait, fasciné, sa pomme d'Adam rouler dans le gras de sa gorge.

  • C'est beau de vouloir tout recommencer...J'me suis dit ça aussi avant de retrouver ma gosse...Maintenant qu'elle est morte, ça n'a plus vraiment de sens. Trouver la force de continuer ce sera déjà pas mal...

Il regarda Gaby en hochant le menton, un léger sourire timide au coin de la lèvre. Pas un sourire, plus un assentiment, une reconnaissance.

  • C'est vachement sympa pour la bière...


Gaby acquiesça, mâchoires serrées. Le souvenir de la délicieuse innocence de la petite lui fila l'envie de chialer comme un gamin.

jeudi 6 août 2015

Un trésor, un carton.



Vider sa maison d'enfance c'est la claque brutale qui te montre tout ce qui disparaît. Ce qui ne sera plus. Finalement cela te montre aussi ce qui n'a jamais été. Tu ressors tes affaires d'enfant mais tes yeux n'ont plus la saveur pour savoir les voir comme il le faudrait.
Doudou est minuscule. Il pue. Loin, loin de la chose que vous aimiez le plus au monde au parfum unique, orgasmique, des dodos sans cauchemars. Il n'existe plus et vous non plus. Plus comme ça.
Etre adulte et avancer, en définitive, c'est quotidiennement, inlassablement, vider sa maison d'enfance. Et le mec est minuscule. Et il pue. Loin, loin de la personne que vous aimiez le plus au monde, au parfum magique, orgasmique, des dodos lupanars.
Regarder ses trésors dans un carton c'est se dire qu'inéluctablement la vie n'est que ça. Un trésor. Un carton. Un trésor. Un carton.
Au carton mon trésor, alors.
C'était un peu ce que Gaby se disait, là, devant le carton posé sur la table basse de sa chambre d'hôtel. Lorsqu'il l'avait ramené de chez Roger, il avait d'abord rougi violemment en reconnaissant l'écriture ronde et délicate. Puis la peur dans le bide s'était insinuée, face de rongeur pris en faute, langue de serpent frétillant de l'apex entre les lèvres, il avait regardé successivement à gauche à droite se sachant pourtant seul. Et il demeurait comme un con, épluchant les peaux de ses mains délicates d'intello sans oser l'ouvrir.
Il n'était plus rentré à la maison depuis qu'il avait rendu la petite. Les appels de sa femme se succédaient. Demain, il avait rendez-vous à l'usine de chemises cartonnées.



De la pâte d'amour




Envers et contre toutes les crasses 
Ce ne sera jamais du vent que tu brasses
J'ai rongé tous les barreaux
J'ai la rouille aux commissures
Mais tu sais comme les petits moineaux
Sont fidèles aux bourreaux de leurs fissures.


dimanche 2 août 2015

Follow the yellow brick road



J'ai vu - cru voir - une ligne alléchante à suivre en ce qu'elle paraissait à l'ombre des tiges,des strates, qui sans relâche cinglent les joues vierges. Ce n'est pas blâmable que de tenter, que de regarder content alors, la verticalité sous ses semelles. On peut y croire un temps. On peut se persuader d'être quelqu'un lorsqu'on tient bien le chemin et qu'on ripe à peine le vide.

Dès lors, je le concède, je me suis grisé des beignets gras de la flatterie, des cancans de cour et des dessous peu farouches qui bordèrent naturellement les berges de mon numéro de funambule. J'ai dégurgité des litanies entières jusqu'à la nausée afin de repaître les ventres avides des yeux rivés. Me suis-je cru intéressant? Assurément.

La moue vile d'un Frédéric Moreau, le regard allumé d'un Julien Sorel, j'ai, en léchant la ligne au sol, palpité d'en être.

Mon cri a inondé les fossés longtemps, espérant recouvrir les sons stridents des voix anciennes et j'ai à peine déposé le voile de la modestie sur mon génie.

Je sais que ceux naguère qui distillaient mes palabres futiles sous leurs langues avant la nuit, seront les premiers à hurler à l'imposture.

Et oui. Je ne suis qu'un arriviste qui a usé de sa plus belle arme afin d'avoir un jour un trésor dans une boîte.

Vous êtes mon ami Roger, je vous estime. Mais j'ai tué votre fille parce que je l'aimais. Personne ne vous la rendra.

mercredi 29 juillet 2015

Au bout du doigt tendu, je me suis pendue.

Photo: Berta Silvia

Alors il m'a emmenée, petite, dans les nébuleuses d'huile de ses rouages. Son doigt pointait droit devant. On dit ça aux enfants, que c'est malpoli de montrer du doigt. Lui ne fonctionnait que comme ça.
Il fustigeait le monde de sa phalange accusatrice et balayait d'un geste désinvolte ses propres erreurs, ses jugements hâtifs, ses clichés, ses meurtres occasionnels et ses suicides permanents. Il marchait les pieds ancrés, enfoncés, foulant la bourbe infâme des marais qui lui grimpait jusqu'aux genoux afin que la misère humaine, celle dont il riait, ne puisse voir l'usure et le pauvre de ses semelles.

J'ai beaucoup appris auprès de l'idole. J'ai vu à travers ses yeux. J'ai parlé son langage. Si Dieu s'est tu si longtemps c'est parce qu'il n'y avait plus rien à dire. Au bout du doigt tendu, je me suis pendue.

jeudi 23 juillet 2015

La fable de la couleuvre

Photo : @Gordon

L'écrivain porte en lui les lignes de son histoire, de celle qu'il invente, qu'il déforme, qu'il relate et de celle qui l'arrange. Il étire les mots à sa convenance ou à la vôtre, il manipule, il jubile de l'effet, se regarde satisfait ou se maudit à tout froisser...peu importe. L'écrivain tire à soi sans cesse la couverture égotique et même lorsqu'il vous laisse en prendre un peu c'est toujours afin de vous analyser au mieux. Tout est élément friable, tout est matière à. C'est à jamais la fable de la couleuvre et la mise à nue. Aucun d'entre eux ne gagne à être connu.

mercredi 22 juillet 2015

Quasi vide



Quasi vide. Des résidus encore, ça et là, en lichen sur les parois, comme des réminiscences d'odeur de champignons des bois. L'orée de la forêt est propre, débarrassée de ton ombre de névrosé. Je n'ai plus peur de l'horizon car d'horizon il n'est plus et c'est encore vivre que d'appréhender le temps sans toi. J'me sens grise et citron à l'aube de l'hiver nouveau et j'irai fouler l'humus craquelé aux miettes de tes os.

mardi 21 juillet 2015

Je regarde par la fenêtre et je me vois sauter.

Photo : Lost in translation, Sofia Coppola

Parfois je regarde par la fenêtre et je me vois sauter. Ça dure deux secondes. J'ouvre, je monte, je saute. Ça n'a rien à voir avec un désir quelconque d'en finir. Davantage avec celui de commencer. Sauter dans le vide, faut pas croire, c'est pas juste crever. Quand j'm'imagine prendre l'élan, je poétise le truc un minimum. Je pleure pas. J'ai du rouge à lèvres et je suis pieds nus en robe. C'est beau une fille comme ça, les hommes aiment les petits pieds. J'ai pas mis mes yeux non plus parce que je me trouve plus jolie quand j'suis myope. En flou, il y a des visions plus harmonieuses, des perceptions apaisées et je me vois plonger en arabesques, flotter, légère, et je m'en tape complètement de toi. Tu n'es plus là. Tu n'existes plus. Même ton souvenir n'a jamais été. Je regarde par le fenêtre et je me vois sauter. 

vendredi 17 juillet 2015

Je serai toute douce...

Photo : Virgin Suicides, Sofia Coppola

Et je n'avais plus vraiment envie de parler. Juste enfouir le mohair blond des joues dans son cou. Faire revenir son odeur dans l'arrière de mon palais et laisser chaque tendon du corps se détacher. Je promets, je serai toute douce... 

mercredi 15 juillet 2015

Fin de siècle

Photo : Louise Sullivan

Face à toutes ces désillusions successives, il fallait prendre la décision de vider l'eau du bain avec. Comme le dit l'expression, on aurait pu y joindre également bébé Moise mais quelques attachements subsistaient.
Quand tous les drapeaux d'un âge sont en bernes, il existe, si on les cherche bien, des espoirs en masque. Ils ont des teints encore un peu cireux, effraient parfois, mais ne s'effritent pas toujours sous les doigts. J'en saisis un et le collai délicatement sur mon visage. Le jour s'est levé et j'ai regardé longtemps l'Amour qui dormait.

Pas une trace de sa douceur passée ne dépassait du lit. Je sentais sa présence non pas parce que je la contemplais mais parce que son odeur ravivait les douleurs de ses nerfs à vif entre mes cuisses. L'amour avait été crasse cette nuit. La crasseuse partit.

Sur le bord du trottoir, l'équilibre vacillait. Les talons à plat et les orteils dans le vide, s'agitant comme au bord de l'inéluctable falaise, y avait une odeur de vieille indienne sur le retour en mode danse avec les ours. Le frisson de peur roula le long des reins, j'inspirai, et basculai vers l'avant.

Dans une bulle c'est comme si vous aviez un Dieu, un petit Dieu, relié d'un côté puis de l'autre à deux nymphettes. L'une à la couleur de la ouate grise des ciments chaud quand l'autre le souris des brumes mâtinées. Au grès des flots de la flaque où flotte la bulle, le petit Dieu penche d'un côté ou de l'autre et ainsi perpétuellement en mouvement, ne parvient jamais à se redresser ni choisir son camp.

Se remettre doucement...Pencher la nuque sur le côté dans le moelleux de l'oreiller, dans le cerveau calleux, flotter. Ecouter les aiguilles tintinnabuler comme des gouttes sans bouger le corps mécanique de la poupée. Pleurer quand le méchant meurt à la fin. Les méchants sont toujours beaux à vous rendre idéaliste, c'est ce qui rend le mal amer. Fredonner les ratés, les fausses notes, les sursauts de la montre réglée à l'ancienne heure, qui ne donne plus jamais l'heure, qui n'est plus que le leurre de l'air du temps et les minutes âcres meurent lentement...

Déglutir à peine à la paille nourricière qui abreuve en lait surfait, regarder les poignets fins branchés. Les pluies d'été en averse, en grumeaux dans la poussière. C'est même pas vrai que tout vaut rien, hein? Je voudrais pas que ce soit vrai...Clore les cils qu'on ne possède plus et faire semblant de regarder ailleurs. C'est faux de dire que tout passe avec le temps. Tout passe précisément lorsqu'il n'est plus temps.

Sans trop savoir comment, je suis arrivée jusqu'à la basilique. J'ai acheté un chapelet. Les perles noires et laquées, le coquelicot et la vierge, tout ça... ça a un côté vintage espagnol et ça me rappelle la photo de Mamie avec la pivoine rouge dans les cheveux à côté de Papy, militaire. Cette photo a toujours fait vieux dans la chambre du tonton qui vivait tout seul. J'ai dans ma main le chapelet et les perles me font l'effet d'une colonie de fourmis dans la paume. C'est beau et c'est tout doux, ça rappelle Un Chien Andalou.

J'ai dit à Dieu que j'allais l'emmener en voyage mon chapelet. J'ai un peu la honte, je sais pas de prières, je sais pas compter. Alors je l'ai foutu autour de mon cou comme un collier. C'est classe.
  • Pourquoi t'es là, dis-moi?
  • Je ne sais pas...Je crois que je suis un peu perdue.
  • Viens, là.

Les ritournelles le matin, le soleil dans la tasse de café, les petits orteils vernis rouge qui s'agitent et ton souvenir qui flotte. J'arriverai jamais à te haïr. Toujours, toujours l'odeur de la lessive et le choc de tes mâchoires et le doux de ta voix et les traits contrariés contrariés dans le masque froid. J'm'en fous de pas tout comprendre, j'm'en fous d'être une petite, j'm'en tape d'avoir l'éponge bleue au cœur, j'm'en fous, j'm'en fous de passer à côté de tout, du monde qui déraille, de mes blablas d'ado débile, de Dieu qui comprend rien, du grotesque et du sublime, du riz qu'on envoie en Somalie quand y a pas d'eau, des pourris qu'on voit pas dans la vie qui nous coulent sous les flots, des gentils qu'existent pas dans les lits quand on fait pas dodo et de toutes les filles qui te boivent jusqu'à la lie et tordent mes os. Juste. J'm'en fous.

lundi 13 juillet 2015

L'Ariane sans fil



Une fine pluie froide. Les semelles qui trempent. Les gouttes qui mouillent et les doigts et le mégot.

  • Pierre est arrivé hier.
  • Et alors?
  • Alors les ardeurs se dressent autour d'elle et je n'en parais que plus mou.
  • Qu'est-ce que ça peut foutre? Ariane n'appartient ni aux chiens ni à toi.
  • Elle n'est à personne.
  • Si, à Théo.
  • C'est bien ce que je dis, à personne.

Archie hausse les épaules. Les sentiments, les problèmes existentiels, c'est bien des bavardages d'intellectuels tout ça. De riches oisifs qu'ont bien l'temps de se poser des questions. Est-ce qu'il s'en pose lui? Est-ce qu'il se demande s'il est amoureux de Marie? Il n'a pas de temps pour ça. Conneries. Une femme ça se rencontre et ça s'épouse. Ça lui fait des gosses pour remplir la vie et ça travaille pour nourrir ce qui remplit la vie. Point.


  • Sa sœur est pas mal...Je crois bien qu'elle t'aguiche.
  • Je me fous de sa sœur.
  • Ce serait trop simple...
  • Quoi de plus glorieux finalement aujourd'hui que l'invasion triomphale des cuisses humides d'une femme, nous qui ne conquérons plus rien à la seule force de nos bras? La femme est un territoire comme un autre, l'instinct cherche à l'assaillir quand la mièvrerie de notre siècle nous condamne à simplement la saillir.
  • Tu peux aussi la violer si tu veux l'assaillir...
  • Non, je veux qu'elle m'aime.
  • Comment pourrait-elle aimer un homme sans visage quand Théo les porte tous?

dimanche 12 juillet 2015

Le moite poisseux du corps de la petite



J'avais posé un collet en fil d'étain juste en contrebas de la rivière. Je le connaissais par coeur désormais. Le cercle était de dimension parfaite et j'avais pris soin d'être méticuleuse, précise, vicieuse. Le rythme de ses journées étant toujours le même, je savais qu'après avoir déjeuné, il viendrait tâter du tibia les herbes hautes. La sensation humide de sa pilosité collée lui rappellerait sans doute le moite poisseux du corps de la petite dans la tourbe de ses cuisses. Je savais qu'il aimait les détails. Il y était attentif plus qu'aucun autre.

Glaner les réminiscences de ses secrets tout le long de sa route était devenu ma principale occupation. L'ego, attiré par sa propre odeur, a cela de fascinant qu'il plonge immédiatement. Je le vis progresser, ses longues jambes comme galvanisées d'une hâte enfantine. Il avait le dos nerveux lorsqu'il s'agenouillait enfin, les doigts caressant, fascinés, la boucle du collet. Narcisse se vit beau, paré du collier d'étain.



Stasimon 1



Il faut que Dieu existe. Qu'il existe.
Il le faut parce qu'il n'est pas possible de continuer à bousiller les litres de flotte qui s'échappent sans cesse de ma baignoire de Danaïde.
Stupide.
Je ne sais faire qu'avec les mots, cette montagne de mots grumeaux, là,
la bouche emplie jusqu'à la gueule, et qui jaillissent, jaillissent, sans fin,
sans sang,
sans un peu de sang pour en annoncer la fin.

Il faut que Dieu existe pour de vrai pour que ça ait un sens tout ça,
pour que cesse de se déverser au sol les conglomérats
de lettres inutiles,
des dérisoires petits tas de pensées futiles.
J'ai le cœur trop mou pour la réalité, je ne sais pas faire avec la vie.
Il faut que Dieu existe vraiment afin de ne pas me laisser tomber,
afin de ne pas sombrer dans la folie,
afin surtout de ne plus être lucide,
acide,
d'inspirer l'air putride.

Il faut que Dieu existe au delà de toute raison pour que je puisse y croire
Il me faut un dérisoire, une illusion
Pour ne plus voir tous ces visages qui portent le mien
Que je déteste que je déplore que je vomis même que j'abhorre
Et qui me poussent à crever les yeux de tout ceux qui me reflètent

Il faut que Dieu existe pour m'empêcher d'appuyer sur la gâchette.

Sonnet de la finitude

Photo : Matthias Lange

Je suppose que la mer claque à tes genoux,
Liquide émeraude à l'écume noire
Elle y dépose un reste de terre et de caillou
Putride clabaude d'amertume le soir

Et tu t'éloignes dernier de ton espèce
Dans un désert de mazout sans odeurs
Une fagne arseniée fort épaisse
Où tu craches prière et absoute sans splendeur

Ce qui est fin pour moi n'est que l'ère de ton tour
Et j'écrirai afin que tu vois ce que naguère était l'amour
Etait le monde et la beauté absolue

Je sèmerai les images sous chaque semelle de tes pas
Jusqu'aux rivages mous des poubelles et sous ton toit

En les neiges qui fondent et les passions dissolues.  

vendredi 10 juillet 2015

La peau de Job


Je fusai en arc de cercle et par une ironie vicieuse du sort, atterissai de nouveau sur la cuisse familière. Il n'y prêta pas attention, se leva en faisant claquer le siège du strapontin et appuya sur l'arrêt. Je pensais tout connaître de son intérieur et je ne reconnus rien. Pas de miroirs mais des jumelles dans deux cadres différents. Des jumelles à franges agressives qui se fixaient l'une l'autre avec deux moues vengeresses. J'eus mal au ventre. Il enfonça son doigt dans l’opercule de la canette de soda et but à grandes lampées, les fesses sur l'accoudoir du canapé. Je fixais la mini bouclette qui rebiquait dans son cou, sur la peau douce près du col rond du t-shirt blanc. Cela ne m'attendrirait plus. Longtemps il m'avait mise à terre. Mais à la réflexion...c'était pas parce que je gisais comme une merde au sol que je n'avais plus rien à dire.

Nous ne pouvions demeurer là, dans cet espace familier à la tourbe épaisse. Il n'y a rien de pire que les souvenirs. Pour avancer, il fallait ne retenir aucune leçon du passé. Pour avancer, le plan c'était de ne surtout pas se projeter. Il a baissé les stores, bourré un sac de quelques affaires et sans savoir que mon fil tournicotait à son cou de pendu, nous partîmes. La lumière était semblable aux après-midi d'Août caniculaires dans la pièce pénombre en quête de frais.

Bien sur c'était douloureux cet après. Vous savez quand le petit cloporte offre sa carapace à l'autre afin de l'envelopper, de le protéger du froid et que l'autre une fois bien réchauffé l'écrase et la brûle. Ne reste que l'araignée. Un ventre engrossé d'oeufs et de longues pattes frêles. Et ce putain de fil interminable qui colle au souvenir parce que c'est là sa seule maison, son seul repère.

Intérieurement, il savait tout ça. Il n'avait pas toujours été cet homme-là. La gorge commença à piquer, doucement tapissée de mousse de soie. Dans le rétro intérieur de la voiture il ouvrit grand la bouche. Monsieur était peut-être la personnification de la virilité et du charisme, le mâle alpha ventouse à pétasses, mais là pour l'heure, il faisait de jolies bulles avec son muguet de bébé.

Ça le fit rire aux éclats toute cette poudre laiteuse dans le reflet du rétro. Un gros rire d'enfant sans retenue. Avec son ongle il la râpa puis lécha lentement le dépôt blanc. Un goût de salive agglomérée. C'était pas pire que de rouler des pelles à l'autre bouche de sa femme. Et puis c'était à lui, cette fois.
Il roula plus vite, grisé par ce souffle de liberté, d'interdit. Dehors, les faces 
ensoleillées des immeubles défilaient au garde-à-vous et passant son bras par la
 vitre, il les salua, la main bien raide, comme une reine.
Il se dit que finalement, c'était peut-être la chance de sa vie ça, de se barrer parce 
qu'il n'était qu'un gros con. Le pouce biscuit, la glace muguet, il détala en passant sa
 cinquième.

Il y eut un matin, il y eut deux soleils.

Premier jour.

Plurividu


Photo : Consumers Jesus, Baksy

J'aime pas trop trop les machines à café de quand on est au travail. Ca fait test d'intégration je trouve. Y a les mecs au bureau, mentons hauts, une jambe devant dans un angle droit de hanche d'sex symbole, assurés, paf y trouvent direct la fente à pièce. D'la monnaie plein la paume, ils la font sauter comme des p'tites vicieuses. Frank Jourrier il a fait ça ce matin en me regardant, l'air de dire "écoute le bruit des piécettes ma petite". Comme tous les jours depuis lundi, je ne sens plus mon téléphone vibrer dans ma poche. J'ai beau le regarder comme si j'avais Tourette, rien à faire...Il ne sonne PAS. Ne vibre pas. Même pas une faible lueur de rien du tout qui me dirait juste que celui que j'aime est en vie. Alors oui, je l'avoue, quand Frank Jourrier il a refait tinter les pièces dans sa grosse patte de mâle alpha, ben j'ai minaudé des cils et accepté le café-gobelet.

Y aura toujours ce genre de types à fentes. Ils ont un don pour ça. Et dans tous les domaines en plus. C'est eux qui trouvent direct les fentes à promo, les surclassements par passerelles, comment gagner des échelons dans la boîte sans passer par la voie officielle. Ils ont des golden tickets à fenter à l'infini. Même avec les femmes ça roulotte. Hop, un j'ton dans la fente du caddie et attachée ou pas, ça vient tout pousser dans le grillage à provisions.

Et pi y a ceux comme moi. A qui il manque toujours 10 centimes pour en faire 40 pour appuyer sur le mauvais bouton, zapper d'enlever les trois points de sucre ou qui doit demander en balbutiant où c'est qu'on met la pièce. Depuis que mon téléphone est muet, depuis que je sais que c'est ELLE qui vivra au chaud les mains dans ses mains devant la télé le soir, ben j'ai décidé de me créer une maison de carton-pâte, un simulacre de vie stable pour faire comme lui et comme tous les autres. C'est comme ça qu'on fait non? Ouais je crois bien qu'avec le temps j'ai compris que l'avenir de la princesse ce sont les mecs à fentes.

C'était décidé, j'allais m'taper un mec à j'ton. Comme au manège, c'est moi qu'attraperai l'pompom.

Allez c'est parti on y va, va, va vaaaa....


Ordonnance 45




Illustration : Jon Ho


Lettre 70

Aimer très fort ton corps-Amour c'est le bagne pour enfant et c'est là que tu m'avais mise. C'est là, dans un savant mélange de restrictions, de viols, de coups, de redressement et d'abandon que la petite fille est morte. Elle est morte dans la chambre au fond du couloir, ce jour d'extirpation d'la niche, ce jour de joue collée sur le sol moins froid qu'elle.

Je vais te dire la vérité, aucun grand monsieur n'est venu me chercher.

Pourtant j'te jure comme j'en ai rêvé. D'abord il a eu ton visage et ta bouche en forme de cœur. C'est vrai ça, qu't'as la bouche en forme de cœur. C'est désuet un peu, c'est cliché même. On dirait une sorte de bouche qu'on a découpée d'un magazine et qu'on aurait collée sur ton visage pour faire comme. Ensuite j'ai imaginé un grand monsieur neutre et vide aux bras qui touchaient le sol. Fallait des grands bras bien chauds pour me protéger tu comprends. Mais personne n'est venu.

Tu veux savoir comment je suis partie? Les mains de la Soeur-Main Principale pourraient te raconter...Durant des jours j'ai pas touché les quignons de pains. Dieu m'a aidé à pas mourir. Durant des jours, j'ai puisé tout au fond de moi, dans les pires retranchements possibles, l'énergie du mal qui permet de vivre. Sans ça, je n'y serais pas arrivée. Alors quand elle est venue tâter du pied si j'bougeais encore, j'ai même pas tremblé. Encore. Pas bougé. J'ai senti son haleine d'haricot vert sur ma joue. Pas grimacé.

"Elle est crevée la vicieuse" qu'elle a dit. Je l'ai laissée faire ses trucs bizarres, remonter ma chemise au-dessus de mes seins. Elle m'a regardé longtemps comme pour voir comment j'étais foutue. Elle a touché. Pas respirer. Pas bouger. C'est quand elle a voulu toucher le dedans que j'ai eu l'électrochoc. Zzzzzwip, ça a fait! Tu sais c'est comme l'instinct de survie ou quand Jean Valjean y soulève la carriole de Monsieur Fauchelevent pour le sauver? Bah pareil. M'suis cambrée d'un coup et j'y ai retourné le doigt direct dans moi. Elle a crié et ça a propulsé une dose de haine supplémentaire.

Dieu a mis plein de force dans mon bras et j'y ai chopé les cheveux. J'me rappelle des cheveux crépons. Je supporte pas de toucher les cheveux des gens, ça m’écœure. Scellée à ses racines j'ai levé sa tête et je l'ai claquée contre le sol. Un bruit sourd. Comme j'avais vraiment très très peur j'ai recommencé plein d'fois très vite en me disant d'une pensée paniquée qu'il fallait pas que j'me rate. J'ai tapé tapé écrasé écrabouillé la vieille tête et ça faisait des bruits de plus en plus harmonieux, comme une musique underground pour les intellos. On aurait tort de croire qu'un crâne qu'on massacre contre un sol de béton craque. Non. Une éponge dans un poing qu'on presse et sa mousse qui dégouline. Du pousse-mousse.Voilà, pour de vrai, c'que ça fait, une tête à briser.

Quand elle a plus du tout fait d'écume j'ai pas voulu regarder. Dieu avait ouvert des yeux grands comme des planètes, non des univers, des galaxies! J'avais pas le temps de m'attarder sur lui alors j'ai volé les clefs dans la poche de la Main Morte et j'me suis tirée.

C'est à partir de là que j'ai eu des petits problèmes de concentration et de violence. Mais c'est pas ma faute, je t'aime et t'es pas venu me chercher.

Lettre 72

Les matins, quand le jour se lève à peine, ça fait des volutes de fumée blanches sur les chaussées. J'ignore pourquoi toujours cette fumée me suit, pourquoi la rosée froide d'avant l'été se sème à mes basques. Inéluctablement.

Je suis entrée dans le restaurant à l'ouverture et j'ai commandé un petit-déjeuner. Un chocolat chaud fumant pour rester raccord au décor et un croissant. Tu sais toi, comme je les aime et comme c'était chouette quand tu me les donnais à sucer à même ta bouche. Je crois que les croissants mouillés à ta salive, c'est mon plat préféré.

Le monsieur derrière le comptoir a fait une tête étrange. J'ai pas de jolie robe moi, j'ai pas d'hygiène. On est sale quand on est vicieuse.

Comme Dieu me manquait finalement, je me suis mise à pleurer. Je pleurais comme les bébés, sans retenue, avec des grosses larmes et des hoquets. Un homme avec un béret s'est approché et m'a demandé ce qui n'allait pas. Il avait une voix douce, une tête qui pouvait être toi si j'me forçais un peu. Alors j'ai pleuré encore et il a payé l'addition. J'étais soulagée, je n'avais pas d'argent.
Ensuite, il m'a même offert des petites clémentines en disant que je sentais comme elles. Qu'il fallait que j'prenne des vitamines pour rester toute belle. Intérieurement j'me disais que ça devait être ça les rencontres normales entre gens normaux. Je savais pas trop. A peine sortie de l'enfance j'étais entrée dans toi. Et tu m'avais pas demandé mon avis. Et ça me plaisait.

Alors par curiosité et comme j'me sentais seule et paumée, je l'ai suivi.

Epingler les papillons






Il est des endroits somptueux en dehors de la terre que vous ne pouvez pas connaître. Des endroits où le ciel vaporeux, parsemé de nuages gonflés de sanglots, ne fait qu'un avec le sol lévitant de sable rose. Le bleu stigmate des cieux marque alors le rosacé terrestre de son empreinte indélébile comme la goutte d'encre s'évaporant dans un magenta suave. Pauvres de vous qui fixez encore l'horizon...
Moi j'avais rien demandé. Je ne savais pas d'ailleurs, que j'avais ce potentiel tant recherché par cette communauté de l'ombre qui œuvrait sans qu'on la voit jamais. C'est lui qui est venu me chercher. Maintenant je comprends mieux, il avait toujours eu du flair...enfin avant qu'il me laisse croupir ici. Oui, il était bien, avant...

Stanley était de ces garçons qui ne tenaient pas en place. Ses pupilles vrillaient en une fraction de seconde sur les choses en mouvement sans jamais se fixer. Autour de lui, tout tournait comme une valse folle et il ne se sentait stable que dans le tourbillon du monde. Il trouvait son équilibre dans l'incertain, dans l'instant précis où le pied écrase le château de sable, où le chaos bascule la plénitude. Il était serein lorsqu'il vacillait sur son fil de funambule. Stanley était paisible dans sa bulle hyperactive. Pour lui, tout s'était dégradé très vite. Les jours s'étaient englués de lenteur et avec eux les gens ralentirent. Bientôt plus personne ne bougea. Les feuilles des arbres ne tombèrent plus. Les choses stagnèrent. Partout des ruisseaux figés, des hommes prostrés, du silence et une épaisse glue de routine noire s'était collée sous ses semelles. Stan se disait qu'il avait l'air bien con à s'agiter en tout sens mais s'il cessait, son souffle s'amenuisait. Déjà sa poitrine enflait et ses pupilles sautaient les secondes. Il avait alors levé les yeux au ciel, tout était bleu. D'un bleu étrange qui gerbait sur les églises et dégoulinait sur ses souliers. Ce fut là que tout commença, et pour lui, et pour moi.
Quand il fut attiré tout à coup, au loin, là-bas sur le banc, par un mouvement imperceptible. Faible. Presque maladif. Mais un mouvement tout de même. Sa poitrine désenfla un peu et il leva ses lourds sabots du sol gluant. La petite chose sur le banc était fragile mais Stan vit qu'elle frémissait. Un papillon.

Il voletait et cognait ses ailes contre les parois transparentes d'une petite cage sans barreaux. A vue d’œil on eut pu dire qu'il pouvait s'échapper mais la cage n'était pas l'objet principal de sa prison dorée. L'enveloppe qui les abritaient, lui et sa demeure de verre, se trouvait être un corps de fille. Un corps de fille immobile, à la peau laiteuse, et dont l'ovale angélique du visage le fixait de ses grands néons bleus aux longs cils. Je me souviens moi aussi, de cet instant là, quand je l'ai vu s'approcher. Ma saloperie de papillon s'était tant agité que mon sang avait jailli plus vite dans mes veines, déclenchant du même coup mon imbécile sourire de petite fille.
Stan avait alors essayé de passer la main à travers ma cage thoracique et je m'étais dit que s'il continuait à trop s'approcher, il allait en faire naître d'autres, le con.
Ça n'avait pas loupé.
Il avait alors pris ma main de fille au papillon et m'avait entraînée à sa suite. Nos pieds ne touchaient plus le sol, ils semblaient flotter. Je rougissais dans ma robe palpitante. Stan me trouvait bizarre comme fille, un peu. Je provoquais des décharges très fortes dans son ventre lorsqu'il posait les yeux sur moi. Mon odeur de fraise emplissait ses narines et il ne respirait plus que du fruit. Comme je souriais sans prévenir, le cœur de Stanley manqua un battement. C'est là qu'il avait décidé de m'emmener sur sa planète, celle qui se trouve au bout du monde, là où on tombe.

Alors que vos histoires sont plates de mots mâchés et d'attentions clichées, nous, ce fut violent tout de suite. J'ignorais que Stan était le chef des non-humains. J'ignorais que j'en étais une moi-même. Il me demanda si j'acceptais de le suivre au bord du précipice pour quitter la Terre avec lui mais comme ses doigts avaient frôlé ma peau, je serrai les dents pour ne pas cracher de lépidoptères. A l'intérieur, ça pullulait.
Mon silence fut sa seule acceptation et la main cousue dans la sienne, nous entamâmes notre périple. Stan était vicieux comme un petit garçon. Il aimait bien que les papillons viennent caresser son visage sous ma robe. Au final, quand j'y repense, c'était logique que le petit train déraille. On montait tellement haut puis on chutait tellement bas, le tout dans des va-et- vient frénétiques à se dire qu'on allait en crever, qu'au bout d'un moment fallait bien que la roue glisse, que l'écrou se desserre, qu'un truc casse et nous éjecte.

Mais ce ne fut pas tout de suite. On a quand même eu le temps de se mélanger, de rendre ma cage de verre hyperactive. Et puis des chenilles de nacre s'immiscèrent en lui. Le paradis à côté c'était juste has been.