Il
est des endroits somptueux en dehors de la terre que vous ne pouvez
pas connaître. Des endroits où le ciel vaporeux, parsemé de nuages
gonflés de sanglots, ne fait qu'un avec le sol lévitant de sable
rose. Le bleu stigmate des cieux marque alors le rosacé terrestre de
son empreinte indélébile comme la goutte d'encre s'évaporant dans
un magenta suave. Pauvres de vous qui fixez encore l'horizon...
Moi
j'avais rien demandé. Je ne savais pas d'ailleurs, que j'avais ce
potentiel tant recherché par cette communauté de l'ombre qui œuvrait sans qu'on la voit jamais. C'est lui qui est venu me
chercher. Maintenant je comprends mieux, il avait toujours eu du
flair...enfin avant qu'il me laisse croupir ici. Oui, il était bien,
avant...
Stanley
était de ces garçons qui ne tenaient
pas en place. Ses pupilles vrillaient en une fraction
de seconde sur les choses en mouvement sans jamais se fixer.
Autour de lui, tout tournait comme une valse folle et il ne se
sentait stable que dans le tourbillon du monde. Il trouvait son
équilibre dans l'incertain, dans l'instant précis où le pied
écrase le château de sable, où le chaos bascule la plénitude. Il
était serein lorsqu'il vacillait sur son fil de funambule. Stanley
était paisible dans sa bulle hyperactive. Pour lui, tout s'était
dégradé très vite. Les jours s'étaient englués de lenteur et
avec eux les gens ralentirent. Bientôt plus personne ne bougea. Les
feuilles des arbres ne tombèrent plus. Les choses stagnèrent.
Partout des ruisseaux figés, des hommes prostrés, du silence et une
épaisse glue de routine noire s'était collée sous ses semelles.
Stan se disait qu'il avait l'air bien con à s'agiter en tout sens
mais s'il cessait, son souffle s'amenuisait. Déjà sa poitrine
enflait et ses pupilles sautaient les secondes. Il avait alors levé
les yeux au ciel, tout était bleu. D'un bleu étrange qui gerbait
sur les églises et dégoulinait sur ses souliers. Ce fut là que
tout commença, et pour lui, et pour moi.
Quand
il fut attiré tout à coup, au loin, là-bas
sur le banc, par un mouvement imperceptible. Faible. Presque maladif.
Mais un mouvement tout de même. Sa poitrine désenfla un peu et il
leva ses lourds sabots du sol gluant. La petite chose sur le banc
était fragile mais Stan vit qu'elle frémissait. Un papillon.
Il
voletait et cognait ses ailes contre les parois transparentes d'une
petite cage sans barreaux. A vue d’œil on eut pu dire qu'il pouvait
s'échapper mais la cage n'était pas l'objet principal de sa prison
dorée. L'enveloppe qui les
abritaient, lui et sa demeure de verre, se trouvait être un
corps de fille. Un corps de fille immobile, à la peau laiteuse, et
dont l'ovale angélique du visage le fixait de ses grands néons
bleus aux longs cils. Je me souviens moi aussi, de cet instant là,
quand je l'ai vu s'approcher. Ma saloperie de papillon s'était tant
agité que mon sang avait jailli plus vite dans mes veines,
déclenchant du même coup mon imbécile sourire de petite fille.
Stan
avait alors essayé de passer la main à travers ma cage thoracique
et je m'étais dit que s'il continuait à trop s'approcher, il allait
en faire naître d'autres, le con.
Ça
n'avait pas loupé.
Il
avait alors pris ma main de fille au papillon et m'avait entraînée à
sa suite. Nos pieds ne touchaient plus le sol, ils semblaient
flotter. Je rougissais dans ma robe palpitante. Stan me trouvait
bizarre comme fille, un peu. Je provoquais des décharges très
fortes dans son ventre lorsqu'il posait les yeux sur moi. Mon odeur
de fraise emplissait ses narines et il ne respirait plus que du
fruit. Comme je souriais sans prévenir, le cœur de Stanley manqua
un battement. C'est là qu'il avait décidé de m'emmener sur sa
planète, celle qui se trouve au bout du monde, là où on tombe.
Alors
que vos histoires sont plates de mots mâchés et d'attentions
clichées, nous, ce fut violent tout de suite. J'ignorais que Stan
était le chef des non-humains. J'ignorais que j'en étais une
moi-même. Il me demanda si j'acceptais de le suivre au bord du
précipice pour quitter la Terre avec lui mais comme ses doigts
avaient frôlé ma peau,
je serrai les dents pour ne pas cracher de lépidoptères. A
l'intérieur, ça pullulait.
Mon
silence fut sa seule acceptation et la main cousue dans la sienne,
nous entamâmes notre périple. Stan était vicieux comme un petit
garçon. Il aimait bien que les papillons viennent caresser son
visage sous ma robe. Au final, quand j'y repense, c'était logique
que le petit train déraille. On montait tellement haut puis on
chutait tellement bas, le tout dans des va-et-
vient frénétiques à se dire qu'on allait en crever, qu'au
bout d'un moment fallait bien que la roue glisse, que l'écrou se
desserre, qu'un truc casse et nous éjecte.
Mais
ce ne fut pas tout de suite. On a quand même eu le temps de se
mélanger, de rendre ma cage de verre hyperactive. Et puis des
chenilles de nacre s'immiscèrent en lui. Le paradis à côté
c'était juste has been.
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