vendredi 10 juillet 2015

Epingler les papillons






Il est des endroits somptueux en dehors de la terre que vous ne pouvez pas connaître. Des endroits où le ciel vaporeux, parsemé de nuages gonflés de sanglots, ne fait qu'un avec le sol lévitant de sable rose. Le bleu stigmate des cieux marque alors le rosacé terrestre de son empreinte indélébile comme la goutte d'encre s'évaporant dans un magenta suave. Pauvres de vous qui fixez encore l'horizon...
Moi j'avais rien demandé. Je ne savais pas d'ailleurs, que j'avais ce potentiel tant recherché par cette communauté de l'ombre qui œuvrait sans qu'on la voit jamais. C'est lui qui est venu me chercher. Maintenant je comprends mieux, il avait toujours eu du flair...enfin avant qu'il me laisse croupir ici. Oui, il était bien, avant...

Stanley était de ces garçons qui ne tenaient pas en place. Ses pupilles vrillaient en une fraction de seconde sur les choses en mouvement sans jamais se fixer. Autour de lui, tout tournait comme une valse folle et il ne se sentait stable que dans le tourbillon du monde. Il trouvait son équilibre dans l'incertain, dans l'instant précis où le pied écrase le château de sable, où le chaos bascule la plénitude. Il était serein lorsqu'il vacillait sur son fil de funambule. Stanley était paisible dans sa bulle hyperactive. Pour lui, tout s'était dégradé très vite. Les jours s'étaient englués de lenteur et avec eux les gens ralentirent. Bientôt plus personne ne bougea. Les feuilles des arbres ne tombèrent plus. Les choses stagnèrent. Partout des ruisseaux figés, des hommes prostrés, du silence et une épaisse glue de routine noire s'était collée sous ses semelles. Stan se disait qu'il avait l'air bien con à s'agiter en tout sens mais s'il cessait, son souffle s'amenuisait. Déjà sa poitrine enflait et ses pupilles sautaient les secondes. Il avait alors levé les yeux au ciel, tout était bleu. D'un bleu étrange qui gerbait sur les églises et dégoulinait sur ses souliers. Ce fut là que tout commença, et pour lui, et pour moi.
Quand il fut attiré tout à coup, au loin, là-bas sur le banc, par un mouvement imperceptible. Faible. Presque maladif. Mais un mouvement tout de même. Sa poitrine désenfla un peu et il leva ses lourds sabots du sol gluant. La petite chose sur le banc était fragile mais Stan vit qu'elle frémissait. Un papillon.

Il voletait et cognait ses ailes contre les parois transparentes d'une petite cage sans barreaux. A vue d’œil on eut pu dire qu'il pouvait s'échapper mais la cage n'était pas l'objet principal de sa prison dorée. L'enveloppe qui les abritaient, lui et sa demeure de verre, se trouvait être un corps de fille. Un corps de fille immobile, à la peau laiteuse, et dont l'ovale angélique du visage le fixait de ses grands néons bleus aux longs cils. Je me souviens moi aussi, de cet instant là, quand je l'ai vu s'approcher. Ma saloperie de papillon s'était tant agité que mon sang avait jailli plus vite dans mes veines, déclenchant du même coup mon imbécile sourire de petite fille.
Stan avait alors essayé de passer la main à travers ma cage thoracique et je m'étais dit que s'il continuait à trop s'approcher, il allait en faire naître d'autres, le con.
Ça n'avait pas loupé.
Il avait alors pris ma main de fille au papillon et m'avait entraînée à sa suite. Nos pieds ne touchaient plus le sol, ils semblaient flotter. Je rougissais dans ma robe palpitante. Stan me trouvait bizarre comme fille, un peu. Je provoquais des décharges très fortes dans son ventre lorsqu'il posait les yeux sur moi. Mon odeur de fraise emplissait ses narines et il ne respirait plus que du fruit. Comme je souriais sans prévenir, le cœur de Stanley manqua un battement. C'est là qu'il avait décidé de m'emmener sur sa planète, celle qui se trouve au bout du monde, là où on tombe.

Alors que vos histoires sont plates de mots mâchés et d'attentions clichées, nous, ce fut violent tout de suite. J'ignorais que Stan était le chef des non-humains. J'ignorais que j'en étais une moi-même. Il me demanda si j'acceptais de le suivre au bord du précipice pour quitter la Terre avec lui mais comme ses doigts avaient frôlé ma peau, je serrai les dents pour ne pas cracher de lépidoptères. A l'intérieur, ça pullulait.
Mon silence fut sa seule acceptation et la main cousue dans la sienne, nous entamâmes notre périple. Stan était vicieux comme un petit garçon. Il aimait bien que les papillons viennent caresser son visage sous ma robe. Au final, quand j'y repense, c'était logique que le petit train déraille. On montait tellement haut puis on chutait tellement bas, le tout dans des va-et- vient frénétiques à se dire qu'on allait en crever, qu'au bout d'un moment fallait bien que la roue glisse, que l'écrou se desserre, qu'un truc casse et nous éjecte.

Mais ce ne fut pas tout de suite. On a quand même eu le temps de se mélanger, de rendre ma cage de verre hyperactive. Et puis des chenilles de nacre s'immiscèrent en lui. Le paradis à côté c'était juste has been.

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