vendredi 10 juillet 2015

Louise Sullivan a peur de tout



J'ai pleuré devant des photos d'une inconnue ce soir. Des fois je crois que je suis folle.
Pi en cachette, j'ai attaché le col en dentelle. Juste comme ça, à même la peau. Laiteuse la peau.
La dentelle c'est beau mais la vache qu'est-ce que ça pique...ça laisse des arabesques de petits boutons rouges dans le lait de l'épiderme. Du paprika dans la crème. Avec un peigne de ceux qu'arrachent le cuir chevelu, j'ai crêpé les boucles. Un coup de pinceau rouge sur chaque petit orteil et de la sanguine à la bouche, tout là haut pour que tu regardes mes merveilles, j'ai étiré les cils en couches.Le tuteur est bien tendu de ma nuque à mes chevilles, la base du cercle tourne en tic tic tic.
Allez c'est quand que tu me dégoupilles de cette maudite boîte à musique? J'veux venir sur tes genoux. J'veux que tu me serres fort comme ça avec tes bras. Je peux plus m'échapper et j'veux être bien. J'me rappelle Mamie elle disait que j'étais trop sage. Qu'on pouvait me poser dans un coin et que je bougeais pas. Sage comme une image. Je ris parce que mes images à moi, elles sont tout sauf sages. Tu crois que ça existe toi Papa de se reconnaître dans un miroir en polaroid? J'ai crapoté une cigarette pour faire comme toi. Je veux pas aller au bal des poupées demain, même si je suis la reine de ton palais.

J'aimais bien le soir et la lumière tamisée du salon. Bien calée sur les genoux de Papa je laissais ma nuque dodeliner sur son torse et je luttais pour pas m'endormir. Les bruits me parvenaient en sous-marin, le souffle long de sa bouffée de cigarette, le diamant clinquant de son émail contre le verre de vin, sa langue de chat rattrapant au passage la goutte rouge sur son pouce, la voix en sonomètre du présentateur télé. C'que j'aimais le plus c'était frotter le petit pic gercé de ma lèvre supérieure contre son pull qui sentait la lessive qui sentait son odeur et c'était bon comme un câlin. Demain ça serait un jour important et j'avais peur de tout rater. Tu seras avec moi hein? J'veux pas y aller toute seule et rester avec eux, je les connais pas, je sais pas ce qu'ils vont me faire. Et j'suis obligée de mettre la robe jaune? Je les imaginais déjà avec leurs yeux faussement compatissants de chasseurs. En ligne, à me regarder partir en courant pour prendre une avance illusoire que ne comblerait pas proportionnellement la vitesse de la balle propulsée de leurs pétoires à battue. 

Est-ce que c'est pour ça le masque dentelle sous les yeux? C'est comme des plumes pour me cacher hein? J'étais sûre qu'il allait pleuvoir, il pleut tout le temps quand j'ai la frousse. J'me vois déjà m'ébrouer les bras sous les gouttes, les regarder, panique panique panique et courir comme papa a dit, loin loin...Moi j'croyais que j'étais une princesse. J'avais compris le bal, pas la balle. J'en ai rien à foutre de l'âge de raison moi, c'est tellement cliché l'raisonnable. Pi qu'est-ce que tu veux que j'arrête, qu'allez je sois une grande avec le faux cul de bébé que me font les collants en laine que tu me fais porter? Comment tu veux, comment vous voulez tous là que je sois une femme, une vraie, la fatale! Les talons de maman sont élimés et mon talon dépasse en crevasses, t'es même pas foutu d'habiller la poupée en attachant ses lacets...J'm'en fous j'srai pas raisonnable. J'aurai une arme demain tu sais. Je vais me défendre, je vais feuler, ils m'auront pas. Papa...s'te plait...fais pas ton lâché de gamine demain...Un avale-pâtes j'ai tout fini mon assiette, un modèle, une fille en carton-pâte, même pas pleurer pour le bal des draps bleus ...J'ferai tout bien...Je serai la reine de ton palais. Promis, je crache par terre même. Mais pour de faux hein...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire