mercredi 29 juillet 2015

Au bout du doigt tendu, je me suis pendue.

Photo: Berta Silvia

Alors il m'a emmenée, petite, dans les nébuleuses d'huile de ses rouages. Son doigt pointait droit devant. On dit ça aux enfants, que c'est malpoli de montrer du doigt. Lui ne fonctionnait que comme ça.
Il fustigeait le monde de sa phalange accusatrice et balayait d'un geste désinvolte ses propres erreurs, ses jugements hâtifs, ses clichés, ses meurtres occasionnels et ses suicides permanents. Il marchait les pieds ancrés, enfoncés, foulant la bourbe infâme des marais qui lui grimpait jusqu'aux genoux afin que la misère humaine, celle dont il riait, ne puisse voir l'usure et le pauvre de ses semelles.

J'ai beaucoup appris auprès de l'idole. J'ai vu à travers ses yeux. J'ai parlé son langage. Si Dieu s'est tu si longtemps c'est parce qu'il n'y avait plus rien à dire. Au bout du doigt tendu, je me suis pendue.

jeudi 23 juillet 2015

La fable de la couleuvre

Photo : @Gordon

L'écrivain porte en lui les lignes de son histoire, de celle qu'il invente, qu'il déforme, qu'il relate et de celle qui l'arrange. Il étire les mots à sa convenance ou à la vôtre, il manipule, il jubile de l'effet, se regarde satisfait ou se maudit à tout froisser...peu importe. L'écrivain tire à soi sans cesse la couverture égotique et même lorsqu'il vous laisse en prendre un peu c'est toujours afin de vous analyser au mieux. Tout est élément friable, tout est matière à. C'est à jamais la fable de la couleuvre et la mise à nue. Aucun d'entre eux ne gagne à être connu.

mercredi 22 juillet 2015

Quasi vide



Quasi vide. Des résidus encore, ça et là, en lichen sur les parois, comme des réminiscences d'odeur de champignons des bois. L'orée de la forêt est propre, débarrassée de ton ombre de névrosé. Je n'ai plus peur de l'horizon car d'horizon il n'est plus et c'est encore vivre que d'appréhender le temps sans toi. J'me sens grise et citron à l'aube de l'hiver nouveau et j'irai fouler l'humus craquelé aux miettes de tes os.

mardi 21 juillet 2015

Je regarde par la fenêtre et je me vois sauter.

Photo : Lost in translation, Sofia Coppola

Parfois je regarde par la fenêtre et je me vois sauter. Ça dure deux secondes. J'ouvre, je monte, je saute. Ça n'a rien à voir avec un désir quelconque d'en finir. Davantage avec celui de commencer. Sauter dans le vide, faut pas croire, c'est pas juste crever. Quand j'm'imagine prendre l'élan, je poétise le truc un minimum. Je pleure pas. J'ai du rouge à lèvres et je suis pieds nus en robe. C'est beau une fille comme ça, les hommes aiment les petits pieds. J'ai pas mis mes yeux non plus parce que je me trouve plus jolie quand j'suis myope. En flou, il y a des visions plus harmonieuses, des perceptions apaisées et je me vois plonger en arabesques, flotter, légère, et je m'en tape complètement de toi. Tu n'es plus là. Tu n'existes plus. Même ton souvenir n'a jamais été. Je regarde par le fenêtre et je me vois sauter. 

vendredi 17 juillet 2015

Je serai toute douce...

Photo : Virgin Suicides, Sofia Coppola

Et je n'avais plus vraiment envie de parler. Juste enfouir le mohair blond des joues dans son cou. Faire revenir son odeur dans l'arrière de mon palais et laisser chaque tendon du corps se détacher. Je promets, je serai toute douce... 

mercredi 15 juillet 2015

Fin de siècle

Photo : Louise Sullivan

Face à toutes ces désillusions successives, il fallait prendre la décision de vider l'eau du bain avec. Comme le dit l'expression, on aurait pu y joindre également bébé Moise mais quelques attachements subsistaient.
Quand tous les drapeaux d'un âge sont en bernes, il existe, si on les cherche bien, des espoirs en masque. Ils ont des teints encore un peu cireux, effraient parfois, mais ne s'effritent pas toujours sous les doigts. J'en saisis un et le collai délicatement sur mon visage. Le jour s'est levé et j'ai regardé longtemps l'Amour qui dormait.

Pas une trace de sa douceur passée ne dépassait du lit. Je sentais sa présence non pas parce que je la contemplais mais parce que son odeur ravivait les douleurs de ses nerfs à vif entre mes cuisses. L'amour avait été crasse cette nuit. La crasseuse partit.

Sur le bord du trottoir, l'équilibre vacillait. Les talons à plat et les orteils dans le vide, s'agitant comme au bord de l'inéluctable falaise, y avait une odeur de vieille indienne sur le retour en mode danse avec les ours. Le frisson de peur roula le long des reins, j'inspirai, et basculai vers l'avant.

Dans une bulle c'est comme si vous aviez un Dieu, un petit Dieu, relié d'un côté puis de l'autre à deux nymphettes. L'une à la couleur de la ouate grise des ciments chaud quand l'autre le souris des brumes mâtinées. Au grès des flots de la flaque où flotte la bulle, le petit Dieu penche d'un côté ou de l'autre et ainsi perpétuellement en mouvement, ne parvient jamais à se redresser ni choisir son camp.

Se remettre doucement...Pencher la nuque sur le côté dans le moelleux de l'oreiller, dans le cerveau calleux, flotter. Ecouter les aiguilles tintinnabuler comme des gouttes sans bouger le corps mécanique de la poupée. Pleurer quand le méchant meurt à la fin. Les méchants sont toujours beaux à vous rendre idéaliste, c'est ce qui rend le mal amer. Fredonner les ratés, les fausses notes, les sursauts de la montre réglée à l'ancienne heure, qui ne donne plus jamais l'heure, qui n'est plus que le leurre de l'air du temps et les minutes âcres meurent lentement...

Déglutir à peine à la paille nourricière qui abreuve en lait surfait, regarder les poignets fins branchés. Les pluies d'été en averse, en grumeaux dans la poussière. C'est même pas vrai que tout vaut rien, hein? Je voudrais pas que ce soit vrai...Clore les cils qu'on ne possède plus et faire semblant de regarder ailleurs. C'est faux de dire que tout passe avec le temps. Tout passe précisément lorsqu'il n'est plus temps.

Sans trop savoir comment, je suis arrivée jusqu'à la basilique. J'ai acheté un chapelet. Les perles noires et laquées, le coquelicot et la vierge, tout ça... ça a un côté vintage espagnol et ça me rappelle la photo de Mamie avec la pivoine rouge dans les cheveux à côté de Papy, militaire. Cette photo a toujours fait vieux dans la chambre du tonton qui vivait tout seul. J'ai dans ma main le chapelet et les perles me font l'effet d'une colonie de fourmis dans la paume. C'est beau et c'est tout doux, ça rappelle Un Chien Andalou.

J'ai dit à Dieu que j'allais l'emmener en voyage mon chapelet. J'ai un peu la honte, je sais pas de prières, je sais pas compter. Alors je l'ai foutu autour de mon cou comme un collier. C'est classe.
  • Pourquoi t'es là, dis-moi?
  • Je ne sais pas...Je crois que je suis un peu perdue.
  • Viens, là.

Les ritournelles le matin, le soleil dans la tasse de café, les petits orteils vernis rouge qui s'agitent et ton souvenir qui flotte. J'arriverai jamais à te haïr. Toujours, toujours l'odeur de la lessive et le choc de tes mâchoires et le doux de ta voix et les traits contrariés contrariés dans le masque froid. J'm'en fous de pas tout comprendre, j'm'en fous d'être une petite, j'm'en tape d'avoir l'éponge bleue au cœur, j'm'en fous, j'm'en fous de passer à côté de tout, du monde qui déraille, de mes blablas d'ado débile, de Dieu qui comprend rien, du grotesque et du sublime, du riz qu'on envoie en Somalie quand y a pas d'eau, des pourris qu'on voit pas dans la vie qui nous coulent sous les flots, des gentils qu'existent pas dans les lits quand on fait pas dodo et de toutes les filles qui te boivent jusqu'à la lie et tordent mes os. Juste. J'm'en fous.

lundi 13 juillet 2015

L'Ariane sans fil



Une fine pluie froide. Les semelles qui trempent. Les gouttes qui mouillent et les doigts et le mégot.

  • Pierre est arrivé hier.
  • Et alors?
  • Alors les ardeurs se dressent autour d'elle et je n'en parais que plus mou.
  • Qu'est-ce que ça peut foutre? Ariane n'appartient ni aux chiens ni à toi.
  • Elle n'est à personne.
  • Si, à Théo.
  • C'est bien ce que je dis, à personne.

Archie hausse les épaules. Les sentiments, les problèmes existentiels, c'est bien des bavardages d'intellectuels tout ça. De riches oisifs qu'ont bien l'temps de se poser des questions. Est-ce qu'il s'en pose lui? Est-ce qu'il se demande s'il est amoureux de Marie? Il n'a pas de temps pour ça. Conneries. Une femme ça se rencontre et ça s'épouse. Ça lui fait des gosses pour remplir la vie et ça travaille pour nourrir ce qui remplit la vie. Point.


  • Sa sœur est pas mal...Je crois bien qu'elle t'aguiche.
  • Je me fous de sa sœur.
  • Ce serait trop simple...
  • Quoi de plus glorieux finalement aujourd'hui que l'invasion triomphale des cuisses humides d'une femme, nous qui ne conquérons plus rien à la seule force de nos bras? La femme est un territoire comme un autre, l'instinct cherche à l'assaillir quand la mièvrerie de notre siècle nous condamne à simplement la saillir.
  • Tu peux aussi la violer si tu veux l'assaillir...
  • Non, je veux qu'elle m'aime.
  • Comment pourrait-elle aimer un homme sans visage quand Théo les porte tous?

dimanche 12 juillet 2015

Le moite poisseux du corps de la petite



J'avais posé un collet en fil d'étain juste en contrebas de la rivière. Je le connaissais par coeur désormais. Le cercle était de dimension parfaite et j'avais pris soin d'être méticuleuse, précise, vicieuse. Le rythme de ses journées étant toujours le même, je savais qu'après avoir déjeuné, il viendrait tâter du tibia les herbes hautes. La sensation humide de sa pilosité collée lui rappellerait sans doute le moite poisseux du corps de la petite dans la tourbe de ses cuisses. Je savais qu'il aimait les détails. Il y était attentif plus qu'aucun autre.

Glaner les réminiscences de ses secrets tout le long de sa route était devenu ma principale occupation. L'ego, attiré par sa propre odeur, a cela de fascinant qu'il plonge immédiatement. Je le vis progresser, ses longues jambes comme galvanisées d'une hâte enfantine. Il avait le dos nerveux lorsqu'il s'agenouillait enfin, les doigts caressant, fascinés, la boucle du collet. Narcisse se vit beau, paré du collier d'étain.



Stasimon 1



Il faut que Dieu existe. Qu'il existe.
Il le faut parce qu'il n'est pas possible de continuer à bousiller les litres de flotte qui s'échappent sans cesse de ma baignoire de Danaïde.
Stupide.
Je ne sais faire qu'avec les mots, cette montagne de mots grumeaux, là,
la bouche emplie jusqu'à la gueule, et qui jaillissent, jaillissent, sans fin,
sans sang,
sans un peu de sang pour en annoncer la fin.

Il faut que Dieu existe pour de vrai pour que ça ait un sens tout ça,
pour que cesse de se déverser au sol les conglomérats
de lettres inutiles,
des dérisoires petits tas de pensées futiles.
J'ai le cœur trop mou pour la réalité, je ne sais pas faire avec la vie.
Il faut que Dieu existe vraiment afin de ne pas me laisser tomber,
afin de ne pas sombrer dans la folie,
afin surtout de ne plus être lucide,
acide,
d'inspirer l'air putride.

Il faut que Dieu existe au delà de toute raison pour que je puisse y croire
Il me faut un dérisoire, une illusion
Pour ne plus voir tous ces visages qui portent le mien
Que je déteste que je déplore que je vomis même que j'abhorre
Et qui me poussent à crever les yeux de tout ceux qui me reflètent

Il faut que Dieu existe pour m'empêcher d'appuyer sur la gâchette.

Sonnet de la finitude

Photo : Matthias Lange

Je suppose que la mer claque à tes genoux,
Liquide émeraude à l'écume noire
Elle y dépose un reste de terre et de caillou
Putride clabaude d'amertume le soir

Et tu t'éloignes dernier de ton espèce
Dans un désert de mazout sans odeurs
Une fagne arseniée fort épaisse
Où tu craches prière et absoute sans splendeur

Ce qui est fin pour moi n'est que l'ère de ton tour
Et j'écrirai afin que tu vois ce que naguère était l'amour
Etait le monde et la beauté absolue

Je sèmerai les images sous chaque semelle de tes pas
Jusqu'aux rivages mous des poubelles et sous ton toit

En les neiges qui fondent et les passions dissolues.  

vendredi 10 juillet 2015

La peau de Job


Je fusai en arc de cercle et par une ironie vicieuse du sort, atterissai de nouveau sur la cuisse familière. Il n'y prêta pas attention, se leva en faisant claquer le siège du strapontin et appuya sur l'arrêt. Je pensais tout connaître de son intérieur et je ne reconnus rien. Pas de miroirs mais des jumelles dans deux cadres différents. Des jumelles à franges agressives qui se fixaient l'une l'autre avec deux moues vengeresses. J'eus mal au ventre. Il enfonça son doigt dans l’opercule de la canette de soda et but à grandes lampées, les fesses sur l'accoudoir du canapé. Je fixais la mini bouclette qui rebiquait dans son cou, sur la peau douce près du col rond du t-shirt blanc. Cela ne m'attendrirait plus. Longtemps il m'avait mise à terre. Mais à la réflexion...c'était pas parce que je gisais comme une merde au sol que je n'avais plus rien à dire.

Nous ne pouvions demeurer là, dans cet espace familier à la tourbe épaisse. Il n'y a rien de pire que les souvenirs. Pour avancer, il fallait ne retenir aucune leçon du passé. Pour avancer, le plan c'était de ne surtout pas se projeter. Il a baissé les stores, bourré un sac de quelques affaires et sans savoir que mon fil tournicotait à son cou de pendu, nous partîmes. La lumière était semblable aux après-midi d'Août caniculaires dans la pièce pénombre en quête de frais.

Bien sur c'était douloureux cet après. Vous savez quand le petit cloporte offre sa carapace à l'autre afin de l'envelopper, de le protéger du froid et que l'autre une fois bien réchauffé l'écrase et la brûle. Ne reste que l'araignée. Un ventre engrossé d'oeufs et de longues pattes frêles. Et ce putain de fil interminable qui colle au souvenir parce que c'est là sa seule maison, son seul repère.

Intérieurement, il savait tout ça. Il n'avait pas toujours été cet homme-là. La gorge commença à piquer, doucement tapissée de mousse de soie. Dans le rétro intérieur de la voiture il ouvrit grand la bouche. Monsieur était peut-être la personnification de la virilité et du charisme, le mâle alpha ventouse à pétasses, mais là pour l'heure, il faisait de jolies bulles avec son muguet de bébé.

Ça le fit rire aux éclats toute cette poudre laiteuse dans le reflet du rétro. Un gros rire d'enfant sans retenue. Avec son ongle il la râpa puis lécha lentement le dépôt blanc. Un goût de salive agglomérée. C'était pas pire que de rouler des pelles à l'autre bouche de sa femme. Et puis c'était à lui, cette fois.
Il roula plus vite, grisé par ce souffle de liberté, d'interdit. Dehors, les faces 
ensoleillées des immeubles défilaient au garde-à-vous et passant son bras par la
 vitre, il les salua, la main bien raide, comme une reine.
Il se dit que finalement, c'était peut-être la chance de sa vie ça, de se barrer parce 
qu'il n'était qu'un gros con. Le pouce biscuit, la glace muguet, il détala en passant sa
 cinquième.

Il y eut un matin, il y eut deux soleils.

Premier jour.

Plurividu


Photo : Consumers Jesus, Baksy

J'aime pas trop trop les machines à café de quand on est au travail. Ca fait test d'intégration je trouve. Y a les mecs au bureau, mentons hauts, une jambe devant dans un angle droit de hanche d'sex symbole, assurés, paf y trouvent direct la fente à pièce. D'la monnaie plein la paume, ils la font sauter comme des p'tites vicieuses. Frank Jourrier il a fait ça ce matin en me regardant, l'air de dire "écoute le bruit des piécettes ma petite". Comme tous les jours depuis lundi, je ne sens plus mon téléphone vibrer dans ma poche. J'ai beau le regarder comme si j'avais Tourette, rien à faire...Il ne sonne PAS. Ne vibre pas. Même pas une faible lueur de rien du tout qui me dirait juste que celui que j'aime est en vie. Alors oui, je l'avoue, quand Frank Jourrier il a refait tinter les pièces dans sa grosse patte de mâle alpha, ben j'ai minaudé des cils et accepté le café-gobelet.

Y aura toujours ce genre de types à fentes. Ils ont un don pour ça. Et dans tous les domaines en plus. C'est eux qui trouvent direct les fentes à promo, les surclassements par passerelles, comment gagner des échelons dans la boîte sans passer par la voie officielle. Ils ont des golden tickets à fenter à l'infini. Même avec les femmes ça roulotte. Hop, un j'ton dans la fente du caddie et attachée ou pas, ça vient tout pousser dans le grillage à provisions.

Et pi y a ceux comme moi. A qui il manque toujours 10 centimes pour en faire 40 pour appuyer sur le mauvais bouton, zapper d'enlever les trois points de sucre ou qui doit demander en balbutiant où c'est qu'on met la pièce. Depuis que mon téléphone est muet, depuis que je sais que c'est ELLE qui vivra au chaud les mains dans ses mains devant la télé le soir, ben j'ai décidé de me créer une maison de carton-pâte, un simulacre de vie stable pour faire comme lui et comme tous les autres. C'est comme ça qu'on fait non? Ouais je crois bien qu'avec le temps j'ai compris que l'avenir de la princesse ce sont les mecs à fentes.

C'était décidé, j'allais m'taper un mec à j'ton. Comme au manège, c'est moi qu'attraperai l'pompom.

Allez c'est parti on y va, va, va vaaaa....


Ordonnance 45




Illustration : Jon Ho


Lettre 70

Aimer très fort ton corps-Amour c'est le bagne pour enfant et c'est là que tu m'avais mise. C'est là, dans un savant mélange de restrictions, de viols, de coups, de redressement et d'abandon que la petite fille est morte. Elle est morte dans la chambre au fond du couloir, ce jour d'extirpation d'la niche, ce jour de joue collée sur le sol moins froid qu'elle.

Je vais te dire la vérité, aucun grand monsieur n'est venu me chercher.

Pourtant j'te jure comme j'en ai rêvé. D'abord il a eu ton visage et ta bouche en forme de cœur. C'est vrai ça, qu't'as la bouche en forme de cœur. C'est désuet un peu, c'est cliché même. On dirait une sorte de bouche qu'on a découpée d'un magazine et qu'on aurait collée sur ton visage pour faire comme. Ensuite j'ai imaginé un grand monsieur neutre et vide aux bras qui touchaient le sol. Fallait des grands bras bien chauds pour me protéger tu comprends. Mais personne n'est venu.

Tu veux savoir comment je suis partie? Les mains de la Soeur-Main Principale pourraient te raconter...Durant des jours j'ai pas touché les quignons de pains. Dieu m'a aidé à pas mourir. Durant des jours, j'ai puisé tout au fond de moi, dans les pires retranchements possibles, l'énergie du mal qui permet de vivre. Sans ça, je n'y serais pas arrivée. Alors quand elle est venue tâter du pied si j'bougeais encore, j'ai même pas tremblé. Encore. Pas bougé. J'ai senti son haleine d'haricot vert sur ma joue. Pas grimacé.

"Elle est crevée la vicieuse" qu'elle a dit. Je l'ai laissée faire ses trucs bizarres, remonter ma chemise au-dessus de mes seins. Elle m'a regardé longtemps comme pour voir comment j'étais foutue. Elle a touché. Pas respirer. Pas bouger. C'est quand elle a voulu toucher le dedans que j'ai eu l'électrochoc. Zzzzzwip, ça a fait! Tu sais c'est comme l'instinct de survie ou quand Jean Valjean y soulève la carriole de Monsieur Fauchelevent pour le sauver? Bah pareil. M'suis cambrée d'un coup et j'y ai retourné le doigt direct dans moi. Elle a crié et ça a propulsé une dose de haine supplémentaire.

Dieu a mis plein de force dans mon bras et j'y ai chopé les cheveux. J'me rappelle des cheveux crépons. Je supporte pas de toucher les cheveux des gens, ça m’écœure. Scellée à ses racines j'ai levé sa tête et je l'ai claquée contre le sol. Un bruit sourd. Comme j'avais vraiment très très peur j'ai recommencé plein d'fois très vite en me disant d'une pensée paniquée qu'il fallait pas que j'me rate. J'ai tapé tapé écrasé écrabouillé la vieille tête et ça faisait des bruits de plus en plus harmonieux, comme une musique underground pour les intellos. On aurait tort de croire qu'un crâne qu'on massacre contre un sol de béton craque. Non. Une éponge dans un poing qu'on presse et sa mousse qui dégouline. Du pousse-mousse.Voilà, pour de vrai, c'que ça fait, une tête à briser.

Quand elle a plus du tout fait d'écume j'ai pas voulu regarder. Dieu avait ouvert des yeux grands comme des planètes, non des univers, des galaxies! J'avais pas le temps de m'attarder sur lui alors j'ai volé les clefs dans la poche de la Main Morte et j'me suis tirée.

C'est à partir de là que j'ai eu des petits problèmes de concentration et de violence. Mais c'est pas ma faute, je t'aime et t'es pas venu me chercher.

Lettre 72

Les matins, quand le jour se lève à peine, ça fait des volutes de fumée blanches sur les chaussées. J'ignore pourquoi toujours cette fumée me suit, pourquoi la rosée froide d'avant l'été se sème à mes basques. Inéluctablement.

Je suis entrée dans le restaurant à l'ouverture et j'ai commandé un petit-déjeuner. Un chocolat chaud fumant pour rester raccord au décor et un croissant. Tu sais toi, comme je les aime et comme c'était chouette quand tu me les donnais à sucer à même ta bouche. Je crois que les croissants mouillés à ta salive, c'est mon plat préféré.

Le monsieur derrière le comptoir a fait une tête étrange. J'ai pas de jolie robe moi, j'ai pas d'hygiène. On est sale quand on est vicieuse.

Comme Dieu me manquait finalement, je me suis mise à pleurer. Je pleurais comme les bébés, sans retenue, avec des grosses larmes et des hoquets. Un homme avec un béret s'est approché et m'a demandé ce qui n'allait pas. Il avait une voix douce, une tête qui pouvait être toi si j'me forçais un peu. Alors j'ai pleuré encore et il a payé l'addition. J'étais soulagée, je n'avais pas d'argent.
Ensuite, il m'a même offert des petites clémentines en disant que je sentais comme elles. Qu'il fallait que j'prenne des vitamines pour rester toute belle. Intérieurement j'me disais que ça devait être ça les rencontres normales entre gens normaux. Je savais pas trop. A peine sortie de l'enfance j'étais entrée dans toi. Et tu m'avais pas demandé mon avis. Et ça me plaisait.

Alors par curiosité et comme j'me sentais seule et paumée, je l'ai suivi.

Epingler les papillons






Il est des endroits somptueux en dehors de la terre que vous ne pouvez pas connaître. Des endroits où le ciel vaporeux, parsemé de nuages gonflés de sanglots, ne fait qu'un avec le sol lévitant de sable rose. Le bleu stigmate des cieux marque alors le rosacé terrestre de son empreinte indélébile comme la goutte d'encre s'évaporant dans un magenta suave. Pauvres de vous qui fixez encore l'horizon...
Moi j'avais rien demandé. Je ne savais pas d'ailleurs, que j'avais ce potentiel tant recherché par cette communauté de l'ombre qui œuvrait sans qu'on la voit jamais. C'est lui qui est venu me chercher. Maintenant je comprends mieux, il avait toujours eu du flair...enfin avant qu'il me laisse croupir ici. Oui, il était bien, avant...

Stanley était de ces garçons qui ne tenaient pas en place. Ses pupilles vrillaient en une fraction de seconde sur les choses en mouvement sans jamais se fixer. Autour de lui, tout tournait comme une valse folle et il ne se sentait stable que dans le tourbillon du monde. Il trouvait son équilibre dans l'incertain, dans l'instant précis où le pied écrase le château de sable, où le chaos bascule la plénitude. Il était serein lorsqu'il vacillait sur son fil de funambule. Stanley était paisible dans sa bulle hyperactive. Pour lui, tout s'était dégradé très vite. Les jours s'étaient englués de lenteur et avec eux les gens ralentirent. Bientôt plus personne ne bougea. Les feuilles des arbres ne tombèrent plus. Les choses stagnèrent. Partout des ruisseaux figés, des hommes prostrés, du silence et une épaisse glue de routine noire s'était collée sous ses semelles. Stan se disait qu'il avait l'air bien con à s'agiter en tout sens mais s'il cessait, son souffle s'amenuisait. Déjà sa poitrine enflait et ses pupilles sautaient les secondes. Il avait alors levé les yeux au ciel, tout était bleu. D'un bleu étrange qui gerbait sur les églises et dégoulinait sur ses souliers. Ce fut là que tout commença, et pour lui, et pour moi.
Quand il fut attiré tout à coup, au loin, là-bas sur le banc, par un mouvement imperceptible. Faible. Presque maladif. Mais un mouvement tout de même. Sa poitrine désenfla un peu et il leva ses lourds sabots du sol gluant. La petite chose sur le banc était fragile mais Stan vit qu'elle frémissait. Un papillon.

Il voletait et cognait ses ailes contre les parois transparentes d'une petite cage sans barreaux. A vue d’œil on eut pu dire qu'il pouvait s'échapper mais la cage n'était pas l'objet principal de sa prison dorée. L'enveloppe qui les abritaient, lui et sa demeure de verre, se trouvait être un corps de fille. Un corps de fille immobile, à la peau laiteuse, et dont l'ovale angélique du visage le fixait de ses grands néons bleus aux longs cils. Je me souviens moi aussi, de cet instant là, quand je l'ai vu s'approcher. Ma saloperie de papillon s'était tant agité que mon sang avait jailli plus vite dans mes veines, déclenchant du même coup mon imbécile sourire de petite fille.
Stan avait alors essayé de passer la main à travers ma cage thoracique et je m'étais dit que s'il continuait à trop s'approcher, il allait en faire naître d'autres, le con.
Ça n'avait pas loupé.
Il avait alors pris ma main de fille au papillon et m'avait entraînée à sa suite. Nos pieds ne touchaient plus le sol, ils semblaient flotter. Je rougissais dans ma robe palpitante. Stan me trouvait bizarre comme fille, un peu. Je provoquais des décharges très fortes dans son ventre lorsqu'il posait les yeux sur moi. Mon odeur de fraise emplissait ses narines et il ne respirait plus que du fruit. Comme je souriais sans prévenir, le cœur de Stanley manqua un battement. C'est là qu'il avait décidé de m'emmener sur sa planète, celle qui se trouve au bout du monde, là où on tombe.

Alors que vos histoires sont plates de mots mâchés et d'attentions clichées, nous, ce fut violent tout de suite. J'ignorais que Stan était le chef des non-humains. J'ignorais que j'en étais une moi-même. Il me demanda si j'acceptais de le suivre au bord du précipice pour quitter la Terre avec lui mais comme ses doigts avaient frôlé ma peau, je serrai les dents pour ne pas cracher de lépidoptères. A l'intérieur, ça pullulait.
Mon silence fut sa seule acceptation et la main cousue dans la sienne, nous entamâmes notre périple. Stan était vicieux comme un petit garçon. Il aimait bien que les papillons viennent caresser son visage sous ma robe. Au final, quand j'y repense, c'était logique que le petit train déraille. On montait tellement haut puis on chutait tellement bas, le tout dans des va-et- vient frénétiques à se dire qu'on allait en crever, qu'au bout d'un moment fallait bien que la roue glisse, que l'écrou se desserre, qu'un truc casse et nous éjecte.

Mais ce ne fut pas tout de suite. On a quand même eu le temps de se mélanger, de rendre ma cage de verre hyperactive. Et puis des chenilles de nacre s'immiscèrent en lui. Le paradis à côté c'était juste has been.

J'finirai bouffée par les tortues


Quand on est une petite fille rêveuse, on glisse lentement dans la contemplation. On s’alanguit bras spaghettis devant les sanglots de la fenêtre. Tout à coup rien n'est plus comme avant. Tout à coup on n'a plus sept ans et maman a montré que la vie c'est pas comme celles des princesses.

Le vide du dedans du bidou se comble de brioches, de chocapics et de coquillettes pour colmater l'Amour évaporé. Effet Konjac. Bourrer la gamine de matière pour ne pas se rendre compte de ce qui est parti et qui ne reviendra plus. Si un monsieur peut rendre une dame caoutchouc et si son appendice cruciforme peut la gruyériser alors c'est sûr je ne suis pas une princesse. La contemplation aide à analyser les situations qui m'échappent. Et bientôt le corps disparaît. Il n'est plus qu'un rond bien régulier au nombril vicieux en son centre. Une cible à fléchettes et les joueurs sont nombreux. Un œil grand ouvert sur les piques qui foncent droit dessus.

L'esprit grandit, s'élargit, étend ses tentacules autour de ma tête Méduse. Méduse est redoutable sous les traits de la chérubine. Le corps étend, lui, ses couches protectrices pour isoler le trésor, le précieux, le fragile, le tout petit cerveau d'or caché sous les boudins d'piscine d'la boîte crânienne. Un jour quand j'serai grande mon amoureux va me sauver. Il va me libérer de mourir étouffée par ces souffles gonflés, par ces grains de riz qu'on écoute dans le lait, boursouflés. Je prie maintenant dans l'eau, les mains parfaitement jointes, pour qu'il vienne vite, vite, vite. Demain je vais lui écrire, je vais lui dire qu'j'ai pas l'temps d'attendre d'être une adulte.

Comment je l'imagine mon amoureux ? Je ne l'imagine pas, je le sais. Il est dans moi déjà parce qu'au fond, ce qu'on aime chez l'autre c'est de se voir joli dedans. C'est celui qui arrive un jour et qui fait se rabougrir la peur. J'me fous pas mal de quelle tête il a, de ce qu'il fait dans la vie. Il est là et le renard qui grignote l'estomac est mort définitivement. Un jour, j'ai marché dans le soleil du matin avec mon père dans la plaine angoissante. Les vastes étendues de nature, plates ou boisées sont toujours angoissantes. On marchait ma petite main dans la grande sienne et le renard apparut sur le chemin poussière. Fauve dans le rayon déjà éblouissant et ça avait encore foutu du rouge plein la rétine.

  • Dis, il dort le renard ?
  • Ah non, il est mort, chérie.
  • Il est mort ?
  • Oui, regarde les mouches.

Je me souviens m'être approchée et avoir observé longuement le corps fourrure en arc de cercle, la tête sous les pattes comme un bon gros dodo d'hiver. En le fixant je pouvais presque voir ses flancs bouger mais je savais désormais qu'il me fallait me méfier de mon imagination. C'est ce que mamie avait dit quand j'avais raconté que Marco avait dit à la tata qu'elle était trop belle la tête en mie de pain après avoir caressé sa gâchette. Bref. Les mouches se gorgeaient de la puanteur. Moi aussi.

  • Papa, pourquoi tu sors ton couteau ?
  • C'est une aubaine cette bestiole. Regarde bien.

D'un geste de professionnel, il sectionna la queue touffue de l'animal. Sur le coup, je vis le générique de mon dessin animé défiler : Les animaux du bois de Quat'Sous. Je pouvais voir le renard sortir sa tête de la grotte du blaireau pour papoter. Mon héros animé ne ressemblait plus à grand chose sans queue. Il l'agita devant mes yeux.

  • C'est cinq euros, elle n'est pas abîmée, on ne va pas se priver !
  • Tu vas la vendre ?
  • Oui. J'ai l'agrément de piégeur, c'est mon rôle.
  • Tu fais ça pour tous les animaux morts ?
  • Pour les nuisibles oui. Tiens, tu peux la porter.

Nous étions repartis, moi tenant la queue. On pouvait donc couper la queue des nuisibles...hum...

Et puis l'enfance se passe comme ça, à collectionner des images. Dans le cerveau compartimenté, y a un tiroir à cahiers. Chaque jour et patiemment, je m'applique à les coller dans ma vie-Panini. Le fusil de Marco, le fusil de Papa font des doubles que j'peux pas échanger à la récré. Mes copines n'en ont pas des comme ça. Alors l'enfance se passe et cette débile de gamine persiste et signe à rêver quand on lui déroule devant les yeux que la jolie pastorale idéalisée ne sera pas plus digne qu'un Louis la Brocante à la télé.
Sortir, partir, voir le monde. Il faudrait. Mais l'immobilisme des petites campagnes est réel. L'orteil peine à s'agiter en dehors des panneaux barrés de la commune. De sa fenêtre donc, elle regarde les gens vivre un soap AB production et elle affectionne même les détails sordides d'un mauvais Maupassant comme les vieux en bas de l'immeuble-maison de ville qui parlent fort le dimanche matin de la dernière battue au cochon, ou encore des dames qui débattent de la vente des médicaments bientôt chez Intermarché.

Elle se sent un petit peu triste quand même, de se contenter de ça. Moi maintenant, j'ai plus rien à vivre, et je la regarde avec un peu de tendresse, un peu de pitié. Son cerveau s'agite à arrimer sa foi mais l'ancre est si lourde pour ses mains fragiles. L'enfance passe et encore elle y croit, elle croit qu'un jour IL sera là pour la regarder vivre et même que TOUS seront là pour la regarder vivre. Elle ne se dit pas encore que si elle crève là, maintenant, pathétique et d'un coup, sur le tapis-poil de chat, personne ne le saura. Elle ne se rend pas encore compte que si elle monologue intérieur depuis des siècles, elle n'a pas prononcé un seul mot à voix haute de la veille à demain.

L'enfance passe et que fera t-elle si les mots qu'elle aligne ne sont pas plus consistants qu'un résumé de programmes télé? Si les gens ne l'aiment pas, si l'amoureux ne l'aime pas, si elle ne s'aime pas ? Elle me saoulait avec sa mièvrerie imbécile d'espoir et de vie et d'amour. Elle n'avait rien compris. Brade-toi, le ciel t'aidera !
Et quand bien même ce serait définitivement foutu, j'm'en tape, j'finirai bouffée par les tortues.

Louise dans la maison vide




Une table en formica ça a toujours de la rouille au coin que j'aime bien gratter avec mon ongle. Ça fait sale après. Je fais ça pendant des heures pour pas manger. Comme un rituel, mes yeux regardent tour à tour la gratte-gratte de la table, mon ongle sale, la pendule au-dessus du frigo, mon père. Il me regarde avec cet air de "tu vas la manger ta purée". Dans mon assiette, une masse informe d'écrasé de patates jaunâtres. Le beurre dedans a fondu, ça fait de l'urine huileuse qui coule sur la colline de pré-mâché. J'ai un haut-le-coeur. L'aiguille des secondes peine à avancer, ça m'arrange bien. Son tic-tac imperceptible est le seul bruit de la pièce avec le raclement de ma kératine sur le mélaminé écaillé. Mange. Par la fenêtre, le ciel s'est coloré d'une chape grise à la vanille. Ça a une odeur d'orage qui sent pas bon, comme quand tu souffles sur une allumette. Mange. Dans ma tête, je me suis déjà échappée. Je fixe l'assiette. C'est moi le grain de poivre là, tout petit. Je glisse à fond sur les vallées lisses de pommes de terre. Les sillons visqueux de la graisse animale m'enveloppent, je ricoche contre le bord en porcelaine, ça appuie sur ma nuque. L'amidon dans les narines ça fait des bulles de pâte épaisse. Le goût vérole ma bouche, ça crisse tel du coton sur les dents. Mon père relève mon visage empuré. Je ne sais pas vraiment si ça se dit. Il est prévisible, il enverra la purée pour le dessert. Je vais les manger quand même les patates. Après.

Louise Sullivan a peur de tout



J'ai pleuré devant des photos d'une inconnue ce soir. Des fois je crois que je suis folle.
Pi en cachette, j'ai attaché le col en dentelle. Juste comme ça, à même la peau. Laiteuse la peau.
La dentelle c'est beau mais la vache qu'est-ce que ça pique...ça laisse des arabesques de petits boutons rouges dans le lait de l'épiderme. Du paprika dans la crème. Avec un peigne de ceux qu'arrachent le cuir chevelu, j'ai crêpé les boucles. Un coup de pinceau rouge sur chaque petit orteil et de la sanguine à la bouche, tout là haut pour que tu regardes mes merveilles, j'ai étiré les cils en couches.Le tuteur est bien tendu de ma nuque à mes chevilles, la base du cercle tourne en tic tic tic.
Allez c'est quand que tu me dégoupilles de cette maudite boîte à musique? J'veux venir sur tes genoux. J'veux que tu me serres fort comme ça avec tes bras. Je peux plus m'échapper et j'veux être bien. J'me rappelle Mamie elle disait que j'étais trop sage. Qu'on pouvait me poser dans un coin et que je bougeais pas. Sage comme une image. Je ris parce que mes images à moi, elles sont tout sauf sages. Tu crois que ça existe toi Papa de se reconnaître dans un miroir en polaroid? J'ai crapoté une cigarette pour faire comme toi. Je veux pas aller au bal des poupées demain, même si je suis la reine de ton palais.

J'aimais bien le soir et la lumière tamisée du salon. Bien calée sur les genoux de Papa je laissais ma nuque dodeliner sur son torse et je luttais pour pas m'endormir. Les bruits me parvenaient en sous-marin, le souffle long de sa bouffée de cigarette, le diamant clinquant de son émail contre le verre de vin, sa langue de chat rattrapant au passage la goutte rouge sur son pouce, la voix en sonomètre du présentateur télé. C'que j'aimais le plus c'était frotter le petit pic gercé de ma lèvre supérieure contre son pull qui sentait la lessive qui sentait son odeur et c'était bon comme un câlin. Demain ça serait un jour important et j'avais peur de tout rater. Tu seras avec moi hein? J'veux pas y aller toute seule et rester avec eux, je les connais pas, je sais pas ce qu'ils vont me faire. Et j'suis obligée de mettre la robe jaune? Je les imaginais déjà avec leurs yeux faussement compatissants de chasseurs. En ligne, à me regarder partir en courant pour prendre une avance illusoire que ne comblerait pas proportionnellement la vitesse de la balle propulsée de leurs pétoires à battue. 

Est-ce que c'est pour ça le masque dentelle sous les yeux? C'est comme des plumes pour me cacher hein? J'étais sûre qu'il allait pleuvoir, il pleut tout le temps quand j'ai la frousse. J'me vois déjà m'ébrouer les bras sous les gouttes, les regarder, panique panique panique et courir comme papa a dit, loin loin...Moi j'croyais que j'étais une princesse. J'avais compris le bal, pas la balle. J'en ai rien à foutre de l'âge de raison moi, c'est tellement cliché l'raisonnable. Pi qu'est-ce que tu veux que j'arrête, qu'allez je sois une grande avec le faux cul de bébé que me font les collants en laine que tu me fais porter? Comment tu veux, comment vous voulez tous là que je sois une femme, une vraie, la fatale! Les talons de maman sont élimés et mon talon dépasse en crevasses, t'es même pas foutu d'habiller la poupée en attachant ses lacets...J'm'en fous j'srai pas raisonnable. J'aurai une arme demain tu sais. Je vais me défendre, je vais feuler, ils m'auront pas. Papa...s'te plait...fais pas ton lâché de gamine demain...Un avale-pâtes j'ai tout fini mon assiette, un modèle, une fille en carton-pâte, même pas pleurer pour le bal des draps bleus ...J'ferai tout bien...Je serai la reine de ton palais. Promis, je crache par terre même. Mais pour de faux hein...

J'ai bobo là...




Ben disons que le matin pendant les vacances, c'était un vieux carillon qui sonnait, austère,
Et l'odeur du pain trop grillé venait empester mes narines, chez ma grand-mère.
On passait vite aux petites activités de la journée, les mamies gâteaux ça existait pas
Avec elle et sa blouse dégueulasse, c'était aux lapins qu'on enlevait les petits pyjamas.

Elle avait pas de mots tendres parce que dans ces familles les sentiments c'est déplacé
Moi j'ai fait des études et c'est pour une pauvre illuminée que je passais.
Mon grand-père il mettait du papier journal sous son manteau pour aller à l'usine sur sa mob
Alors raconter des histoires aux gosses et bénéficier des vacances c'était pas sérieux comme job.

Mon père il a appris une chorégraphie à la chaîne qu'il maîtrise à fond depuis trente ans
Et ma mère elle lavera des culs différents de vieux crasseux encore longtemps.
Je ne sais pas si croire encore qu'un jour j's'rai une princesse est de la connerie
Ou si dans ma tour HLM ma belle couronne en or c'est rien que de la tromperie

La blondeur des blés, les grands yeux bleus, le cœur au bord des lèvres comme on dit
Merde j'avais tout! C'est quand qu'il vient alors le prince illuminer ma vie?
Alors j'ai cherché à agrandir le velux de ma chambre face au cimetière
De changer un peu d'horizon, de m'ouvrir à la culture qui disait, sortir de ma tanière

Parait que quand on sait penser une chouille on peut rencontrer la beauté et les artistes
Ca tombait bien j'étais pas trop conne et j'aimais moins les mains au cul des garagistes.
Ben quoi vous pensez que je veux faire pleurer dans la ménagère? Je le vois à vos regards!
Au prix d'la chaumière des p'tits bourgeois, chez les pauvres c'est tous les jours Zola, connards!

Moi je rêve d'un prince avec des ambitions Lévyesque, qui arrachera ses cils de poète maudit
Je veux plus jamais bouffer des recettes éco + je veux compter les graines bio pour mon transit
J'veux montrer à mes parents que j'ai réussi en crachant sur tout ce qu'ils m'ont transmis, une peste
Sous couvert de fausse compassion qui gueule bien fort pour qu'on m'admire que j'suis d'milieu modeste

Et ouais maintenant j'ai tout! J'ai la liste complète le kit parfait de la princesse de compèt
Estampillée éducation nationale, lookée à la Paradis, en beau cuir tout doux qu'elle est ma mallette
Mon Rimbaud est là, il gerbe en jet des vers surfaits et m'a convertie à la chose, j'ai du talent même!
Quand je passe devant le miroir je réajuste mon chignon coiffé décoiffé j'suis une bohème.

...

Mais parfois dans les hautes sphères des mondanités, des salons littéraires y a comme une odeur
De breuilles de lapins d'antan qui me rappelle que je suis un imposteur
Un "croive" qui fourche sur mes lèvres à la Beauvoir et mes joues s'enflamment de confusion
J'suis pas une princesse, j'suis pas une pauvresse, j'suis qu'une bobo qui fait illusion.








L'asthénie en amuse-bouche



Et les soirées langoureuses avaient un goût de siècle en désuétude
Tandis que les flavescences jadis mordorées des jonquilles
S'étaient émiettées tout le long du chemin, des bordures , décrépitude
Et nos pensées vaporeuses avaient du mou au centre des coquilles.

Les mains du garçon tissaient mes joues de crinoline
Quand nous marchions encore au bord des routes
L'étoile des rayons chauds léchait alors nos bouches en délicatesse de camélines
Et nous dansions contre nos corps en douceur, délice de makrout...

La fin ne serait pas pour maintenant mon amour parce que c'est ainsi
Du temps tu disposes pour convulsionner mes reins encore,
Il est de ces instants où la grâce
lyrique n'a pas envie d'être salie
Avant de t'éteindre dans la crasse du monde tu m'aimeras d'abord

Des minutes supplémentaires accordées à la dernière biture
On dira que tu boiras mes mots comme un ultime calice
Tout nous transpercera les cœurs pourris et on tuera encore la littérature

Et les arts et la vie et l'audace et l'espoir s’évanouiront entre mes cuisses.