mercredi 15 juillet 2015

Fin de siècle

Photo : Louise Sullivan

Face à toutes ces désillusions successives, il fallait prendre la décision de vider l'eau du bain avec. Comme le dit l'expression, on aurait pu y joindre également bébé Moise mais quelques attachements subsistaient.
Quand tous les drapeaux d'un âge sont en bernes, il existe, si on les cherche bien, des espoirs en masque. Ils ont des teints encore un peu cireux, effraient parfois, mais ne s'effritent pas toujours sous les doigts. J'en saisis un et le collai délicatement sur mon visage. Le jour s'est levé et j'ai regardé longtemps l'Amour qui dormait.

Pas une trace de sa douceur passée ne dépassait du lit. Je sentais sa présence non pas parce que je la contemplais mais parce que son odeur ravivait les douleurs de ses nerfs à vif entre mes cuisses. L'amour avait été crasse cette nuit. La crasseuse partit.

Sur le bord du trottoir, l'équilibre vacillait. Les talons à plat et les orteils dans le vide, s'agitant comme au bord de l'inéluctable falaise, y avait une odeur de vieille indienne sur le retour en mode danse avec les ours. Le frisson de peur roula le long des reins, j'inspirai, et basculai vers l'avant.

Dans une bulle c'est comme si vous aviez un Dieu, un petit Dieu, relié d'un côté puis de l'autre à deux nymphettes. L'une à la couleur de la ouate grise des ciments chaud quand l'autre le souris des brumes mâtinées. Au grès des flots de la flaque où flotte la bulle, le petit Dieu penche d'un côté ou de l'autre et ainsi perpétuellement en mouvement, ne parvient jamais à se redresser ni choisir son camp.

Se remettre doucement...Pencher la nuque sur le côté dans le moelleux de l'oreiller, dans le cerveau calleux, flotter. Ecouter les aiguilles tintinnabuler comme des gouttes sans bouger le corps mécanique de la poupée. Pleurer quand le méchant meurt à la fin. Les méchants sont toujours beaux à vous rendre idéaliste, c'est ce qui rend le mal amer. Fredonner les ratés, les fausses notes, les sursauts de la montre réglée à l'ancienne heure, qui ne donne plus jamais l'heure, qui n'est plus que le leurre de l'air du temps et les minutes âcres meurent lentement...

Déglutir à peine à la paille nourricière qui abreuve en lait surfait, regarder les poignets fins branchés. Les pluies d'été en averse, en grumeaux dans la poussière. C'est même pas vrai que tout vaut rien, hein? Je voudrais pas que ce soit vrai...Clore les cils qu'on ne possède plus et faire semblant de regarder ailleurs. C'est faux de dire que tout passe avec le temps. Tout passe précisément lorsqu'il n'est plus temps.

Sans trop savoir comment, je suis arrivée jusqu'à la basilique. J'ai acheté un chapelet. Les perles noires et laquées, le coquelicot et la vierge, tout ça... ça a un côté vintage espagnol et ça me rappelle la photo de Mamie avec la pivoine rouge dans les cheveux à côté de Papy, militaire. Cette photo a toujours fait vieux dans la chambre du tonton qui vivait tout seul. J'ai dans ma main le chapelet et les perles me font l'effet d'une colonie de fourmis dans la paume. C'est beau et c'est tout doux, ça rappelle Un Chien Andalou.

J'ai dit à Dieu que j'allais l'emmener en voyage mon chapelet. J'ai un peu la honte, je sais pas de prières, je sais pas compter. Alors je l'ai foutu autour de mon cou comme un collier. C'est classe.
  • Pourquoi t'es là, dis-moi?
  • Je ne sais pas...Je crois que je suis un peu perdue.
  • Viens, là.

Les ritournelles le matin, le soleil dans la tasse de café, les petits orteils vernis rouge qui s'agitent et ton souvenir qui flotte. J'arriverai jamais à te haïr. Toujours, toujours l'odeur de la lessive et le choc de tes mâchoires et le doux de ta voix et les traits contrariés contrariés dans le masque froid. J'm'en fous de pas tout comprendre, j'm'en fous d'être une petite, j'm'en tape d'avoir l'éponge bleue au cœur, j'm'en fous, j'm'en fous de passer à côté de tout, du monde qui déraille, de mes blablas d'ado débile, de Dieu qui comprend rien, du grotesque et du sublime, du riz qu'on envoie en Somalie quand y a pas d'eau, des pourris qu'on voit pas dans la vie qui nous coulent sous les flots, des gentils qu'existent pas dans les lits quand on fait pas dodo et de toutes les filles qui te boivent jusqu'à la lie et tordent mes os. Juste. J'm'en fous.

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